Dans quoi s’était-il fourré, au juste ? Ce poste d’assistant au sein du Daily News lui semblait parfait, depuis un an qu’il l’occupait. Le salaire était très correct, tout le monde était débordé et personne ne lui posait de questions. Son travail était correct, il n’y avait rien à redire. En fait, son travail avait du être trop correct. Il se souvenait du patron venant le voir il y a deux ça de mois, engageant une discussion à bâtons rompus dont Charlie ne voyait pas l’intérêt. Jusqu’à le chef lance, discrètement « Au fait, je ne vous ai jamais présenté ma fille Charlie, si ? Je pense que vous vous entendriez bien. » Il avait guetté une réaction du côté de Charlie, qui s’était bien gardé – malheureusement pour Mr. Calhoun – d’exprimer quoi que ce soit. La discussion avait continué, mais le mal était fait et Charlie avait très bien compris où son interlocuteur voulait en venir. Sa fille, vraiment ? D’une, il ne savait pas à quoi elle ressemblait. Mais de deux, il était de toutes façons hors de question que Charlie se fiance, ou se marie, puisque Charlie n’existait pas. Du coup, très stratégiquement, il avait décidé de ne jamais poursuivre cette discussion. Mal lui en avait appris, le patron n’avait pas abandonné et juste avant la soirée de fin février, à l’occasion du plus grand tirage du Daily News depuis sa fondation il y a cinq ans, il lui avait annoncé, finalement un peu mine de rien « Au fait, j’espère que vous ne nous ferez pas faux bond, Maxine sera là, je pensais que vous pourriez la rencontrer ». Bah voyons. Mais il s’agissait toujours du seul poste qui lui rapportait vraiment de l’argent, donc difficile de se défiler. Et puis la curiosité commençait à le tenailler : à quoi ressemblait cette Maxine à laquelle on voulait le fiancer ? Passer ne serait-ce qu’une demi-heure à la soirée ne pouvait pas se révéler bien grave.

Les locaux avaient été soigneusement décorés par les secrétaires, qui avaient aussi sortis leurs plus beaux costumes. C’était la soirée fiançailles ? Oui, Charlie était d’une humeur maussade, ce que remarqua son patron. « Dîtes donc, vous n’allez pas bien ? » Il esquissa un pardon, un sourire et courut presque vers le buffet. Une limonade et des chips, ce serait déjà ça. En grignotant l’apéritif, il regardait les gens arriver. Il ne les connaissait presque pas, continuellement fourré dans son bureau qu’il était. Oh, il repérait bien la solide troupe de photographes qui faisait déjà un bruit pas possible, et la discrète jeune femme qui obéissait scrupuleusement à n’importe qui. Tout un petit monde qui n’était pas le sien, mais peu importe. D’ailleurs, il avait du faire très bien illusion si le chef de ce petit monde voulait se l’associer à vie. Il y pensait seulement à l’instant : est-ce qu’épouser la fille du patron, cela ne voulait pas dire reprendre le Daily News ? Il reposa le verre qu’il avait en main, un peu stupéfait par sa découverte tardive. C’était le rêve de beaucoup de gens. Dommage que ce rêve là soit si opposé des siens. Il concluait juste de son monologue intérieur lorsque Mr. Calhoun, qui décidément ne semblait pas décidé à le laisser seul trop longtemps, revenait à l’attaque. Avec un tout nouvel instrument de choix. Alors voilà, ça devait être elle et maintenant. Ben non, pas de coup de foudre ni rien. En face de lui, à n’en pas douter, Maxine Calhoun, certes bien plus attirante que dans la représentation qu’il s’en était faite, mais dont le nom de famille lui ôtait bien du charme. Il salua poliment aux présentations de son père. Très poliment, peu chaleureusement.