histoire

Je découvre l'étrange mécanique de son coeur. Elle fonctionne avec un système de coquille auto-protectrice liée à l'abyssal manque de confiance qui l'habite. Une absence d'estime de soi se bagarrant avec une détermination hors du commun.

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10 ans
Elle hurle, elle pleure, elle meurt. Son sourire disparait, son regard est vide et elle s'écroule sur le sofa pensive. Les yeux perdus, les larmes dévalant son visage, elle ne sait pas, elle ne sait plus. Alors moi, je reste là. Debout face à elle, je ne comprends pas la situation. Un homme est arrivé, il a dit quelque chose puis, elle est tombée à la renverse. Comme quelqu'un qui vient de se prendre un coup de feu dans le torse, comme une personne qui vient d'être détruite. Puis, je sens un vide, un je-ne-sais-quoi qui fait que quelque chose prend place dans mon coeur, un ravin, quelque chose qui disparait. Je triture nerveusement mes doigts puis passe ma main sur celle de ma mère. J'hausse les sourcils. « Pourquoi papa il est pas rentré ? » Ses yeux s'écarquillent, un sanglot puis elle se redresse et serre ma main avec une telle force, qu'une grimace s'affiche sur mon visage. Assise, elle m'attire dans ses bras. Je peux entendre les battements de son coeur, ils sont rapides, nerveux, tristes, brisés. Ses lèvres se posent sur le haut de ma tête et elle murmure simplement. « Papa ne rentrera pas. » Un enfant normalement constitué devrait demander la raison, pourtant, je sens quelque chose en moi, une petite voix me dire : ne demande pas l'impossible, ne l'achève pas en demandant la vérité. Papa ne reviendra pas, il ne reviendra plus. C'était le voyage de trop, le travail trop aventureux. La vérité peut faire mal à entendre, mais elle fait surtout mal quand on la dit. Quand elle traverse la barrière des lèvres et vous prouve enfin, que dans ce monde, la féérie n'existe pas. Mais, intérieurement, je sais qu'il ne sera jamais complètement mort. Après tout, la mort, c'est tellement étrange. Tant que je penserais à lui, il sera toujours là à nous saluer de la main, à dormir aux côtés de maman. Au fond, c'est la seule chose qu'il me reste à faire que de tomber sans pouvoir me relever un jour. C'est qu'il y a de beau quand on a 10 ans, c'est que, la dure réalité ne peut pas nous détruire totalement. Nous trouvons toujours quelque chose pour nous faire rêver, nous faire voler, nous faire espérer, niaisement.

11 ans
« NON, NON ET NON ! Seigneur, Andréa tu n'es donc pas capable de faire ce simple morceau ? » Le regard haineux, le genre de regard qui vous glace le sang. Je déglutis, le coeur en vrac, l'esprit flou et les larmes aux bords des yeux. Deux heures, si ce n'est plus que je suis là, avec cet instrument dans les bras. Je ne me souviens plus exactement quand le " cauchemar " a commencé, mais ce que je sais, c'est qu'elle veut que joue, tout le temps. Elle veut que je sois un homme avant même de pouvoir dire " ouf " elle veut que mes doigts sachent jouer au violon, les plus grands. Alors, j'essaie tant bien que mal. Mais, cet instrument, je le hais, je ne l'aime pas, je le déteste. Maman est étrange depuis bien longtemps, elle me demande de la vouvoyer, de ne plus l'appeler maman, mais " mère ". Je n'arrive plus à la comprendre, à la suivre. Elle devient méchante, son humeur change avec une telle violence, que j'en sursaute parfois. J'inspire un instant, tente de calmer les émotions qui montent en moi, qui me rongent petit à petit. « Andréa, après tout ce que j'ai fais pour toi. Voilà le remerciement, tu me déçois, tellement, tellement. » Elle pose sa fine main sur son front, assise sur une chaise, elle donne l'impression qu'elle va pleurer, qu'elle va s'effondrer. Comme ce fameux jour. Naturellement, je culpabilise, je sens un malaise se mettre en place dans cette pièce. Je fixe le violon un instant, je ne veux pas entendre ces mots. Tu me déçois. Parfois, j'aimerais disparaitre, être sourd pour ne plus entendre ces mots. Mais, une certaine rage, une envie au fond de mon âme, me pousse à me surmener, donner le meilleur de moi-même. Mes yeux se ferment, un simple murmure s'échappe de mes lèvres. « Je suis désolé, mère. » Mère, mère. Ce mot m'arrache la langue, me pique la gorge. Il n'y a plus de complicité, il n'y a plus rien à vrai dire. Tout devient fade, perd son goût initial. Tout se transforme mais ne disparait pas. Je sais qu'un jour, celle que j'ai toujours connu, celle qui existait avant la mort de mon père, est encore quelque part. Je ne sais pas où à vrai dire. Si pour la faire revenir, je dois donner le meilleur de moi-même, je le ferais. Je veux voir de la fierté dans ses yeux, je veux juste voir un pétillement, un quelconque sentiment affectif. Ce sera difficile, mais parait-il que ... Qui ne tente rien, n'a rien.

14 ans
Du monde, il y a du monde absolument partout. Ils me fixent, certains parlent, d'autres sont subjugués. Ils attendent, un geste, un mot, quelque chose venant de moi. Tétanisé comme à chaque fois, je mord avec nervosité ma lèvre inférieure. Mère d'une manière profonde, intérieurement, elle me hurle de commencer à jouer, elle me dit que je dois le faire. Depuis l'année dernière, c'est un spectacle qui se répète. Je suis là, debout sur une scène, l'instrument en main, pendant quelques minutes la peur m'empêche de bouger, pourtant après tout va pour le mieux. Elle aime montrer à tout le monde le " talent " de son fils, elle aime faire croire à tout ceux qu'elle rencontre, que je suis un génie, un futur Mozart ou je ne sais quoi. Pourtant, je connais la vérité et parfois, elle a envie de sortir, de hurler au monde que tout est faux. Que tout ceci, n'est que du travail, un qui a duré des années et qui ne s'arrêtera surement pas aujourd'hui. C'est assez triste quand j'y pense, faire tout ceci pour juste un sourire. Oui, j'ai beau en être conscient, je suis surement stupide, mais je continue. Je me fais un certain mal. C'est une torture que de jouer avec cet instrument. Je retourne alors à la réalité, sentant les battements de mon coeur se calmer petit à petit. Mes yeux se ferment et me voilà maintenant, dans le monde " merveilleux " de la musique. Un long silence, seulement le violon qui résonne dans la salle. Parfois des commentaires, des murmures, des rires même. Maintenant, rien ne m'arrête. Je me laisse faire, je m'emporte, je me sentirais presque voler. Une torture comme un bien pour moi, parfois cet instrument me permet de dévier le monde des adultes, prendre un autre chemin, rêver les yeux ouverts.

crédit © Darjeeling & tumblr

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