Tenant un poteau entre mes bras, j'étais en train de hurler ma vie près de la très belle Maya. Je criais tellement que ça finissait par me faire rire jusqu'aux larmes. Lâchant se poteau, je me mis à tourner sur moi-même, finissant immanquablement par être trop étourdi et tombant par terre. Bordel que je me sentais libre, à ce moment précis de ma vie. Jamais au grand jamais je n'avais été aussi bien et aussi libre comme le vent de faire ce qui me plait. Si Gale avait été avec moi, je suis sûr à cent pour cent qu'il ne m'aurait même pas laissé approcher ce poteau. Poteau, qui soit dit en passant, retient une bonne partie de ce bâtiment en ruine. Il trouverait ça trop dangereux et il aurait peur que je me fasse mal ou que ce tas de ferraille et de vieux bois me tombe dessus. Je me suis toujours dit qu'à trop avoir peur, on finit par ne plus vivre rien du tout. Alors cette nuit, je m'en foutais. Je me foutais du fait qu'il ne veuille que prendre soin de moi et que je ne me brise pas devant lui. Aujourd'hui, j'avais droit à ma liberté, j'avais droit à mon petit moment de joie et de rêve. Puis, ce n'est pas si pire que ça... Je ne suis pas assez saoul pour me rouler par terre et ne plus être capable de me relever. Je suis juste réchauffé, assez pour faire des choses qui, sans alcool dans le sang, me semblaient impossible à réaliser. Avec la belle blonde qui m'accompagne, je peux être sûr d'être un peu plus en sécurité que si j'avais été tout seul. Ça faisait déjà un bon moment qu'elle et moi parlions d'aller se promener dans ce quartier un peu dark de New York, mais nous n'avions jamais vraiment eu l'occasion de le faire. Alors que la fermeture du Please Don't Tell s'était fait un peu plus tôt que d'ordinaire, j'avais proposé à ma collègue de faire cette petite excursion maintenant. Comme on dit : c'était le moment ou jamais. On avait donc rendu nos cabarets et on s'était mis à marcher jusqu'à notre lieu de prédilection. Em chemin, on avait dit de nombreuses conneries et je m'étais mis à chanter des airs stupides comme ceux qu'on chantait dans les champs pour ne pas s'ennuyer.

Me relevant de ma chute précédente, j'allai vers la jeune femme, tout souriant. « Alors !? Est-ce qu'on y va ? » en parlant bien évidemment de cet établissement qui n'attendait que notre visite depuis des siècles et des siècles. C'était définitivement une expérience un peu effrayante, mais ô combien passionnante qui s'offrait à moi. Certains diront qu'il n'y a rien de mal à franchir les portes d'un bâtiment délaissé, mais quand on vient de ma campagne natale et que tout ce qu'on a fait d'illégal dans notre vie c'est de boire une pinte de lait qui était destiné à être vendu, on se rend compte que la vraie vie et toutes les situations « dangereuses » et illégal qu'elle nous offre nous surpasse. Je me souviens de la première fois que je suis entré dans un café sur la Fifth Avenue. On m'avait regardé tellement bizarrement lorsque je m'étais retourné vers Gale pour lui demander ce que c'était qu'un moka. Lui n'avait pas rit, mais la caissière avait été un peu surprise de cette question. C'est facile pour les autres de se rendre compte de qui vient ou ne vient pas de la ville. Malgré ça, je ne regrette quand même pas mes origines et pour rien au monde j'aurais souhaité que les choses soient autrement. Aujourd'hui, je suis heureux et je libre comme l'air de marcher les mains dans les poches en faisant ce qui me plait. Alors je remercie le ciel plutôt que de lui en vouloir de m'avoir fait naître dans une famille agricole. La jeune femme me fit un sourire, me montrant alors toute l'intérêt qu'elle portait à notre aventure. Nous marchions donc d'un pas décidé vers l'entrée du bâtiment. Je sortis un briquet, puisque ce lieu serait sûrement dépourvu de toute électricité. C'est donc en cette nuit fraîche de ce mi-décembre que nous firent preuve de courage pour entrer dans ce lieu déserté.

L'emprise de l'alcool sur la jeune femme avait un effet des plus singuliers, bien que relativement familier. Elle savourait cette douce hystérie, riant aux éclats aux déclarations d'Andrew, un poteau entre les bras. Elle se questionna quelques instants sur ses habitudes de consommation. Elle doutait qu'il soit très fréquemment ivre. Cette soirée était néanmoins bien loin de s'embarrasser de ce genre de détails. Si elle s'était découverte une forte résistance à l'alcool, elle doutait qu'il en aille de même pour son ami. Ces pensées bien loin de l'inquiéter, promettait un enchaînement d'événements aussi innattendues qu'intéressants. Maya laissa les pans de son manteau s'ouvrir dans l'air frais et ses bras presque nus, en proie à une bise glacée. Ses mouvements restaient relativement réguliers, malgré les effets de la boisson. Preuve tangibles de son usage à ses effets. Elle regarda Andrew tournoyer et chuter lamentablement, avant d'aller s'asseoir sur le sol froid à ses côtés, toujours hilare.

"You know, it's gonna be difficult to get inside if we stay on the floor..."
"Tu sais on va avoir du mal à entrer à l'intérieur si l'on reste sur le sol..."

Cette déclaration fit écho à leurs rires. Frais, libres, insaisissables. Les rues étaient fort heureusement désertes à cette heure tardive. De plus, le quartier dans lequel ils se trouvaient était bien loin d'être des plus fréquentés.
Lorsque Maya alla se camper devant l'entrée du bâtiment désaffecté. Elle constata qu'il se trouvait en piteux état et certaines parties de la structure paraissaient prêtes à s'effondrer d'une minute à l'autre.

"I really think that the people living here are even more broke than me !"
"Je pense très sincèrement que les personnes qui vivent ici sont encore plus fauchées que moi !"

"Alors !? Est-ce qu'on y va ?"

La jeune femme hocha la tête solennellement et tendit son bras à Andrew. Ils s'engouffrèrent à l'intérieur de la ruine, la tête haute, bien que leurs pas soient peu assurés. Ils débouchèrent finalement dans une pièce où l'obscurité se faisait presque complète. Le briquet d'Andrew s'avéra utile bien que prodiguant une lumière bien faible en comparaison de la profondeur de l'obscurité qui s'offrait à eux. Leurs pas raisonnaient dans la carcasse de ce qui semblait avoir jadis, abrité des hommes et des femmes. Toujours solidement accrochée au bras d'Andrew la jeune femme murmura :

"If I was getting married some day, I hope that the wedding room will be a little more classy..."
"Si je devais me marier un jour, j'ose espérer que la salle de réception aura un peu plus de classe..."

Nouvel éclat de rire cristallin, revigorant. La jeune femme s'écarta brusquement et s'en alla gravir au pas de course les marches branlantes de la bâtisse, seulement éclairées d'un rayon de lune. Laissant son ami seul avec ses inquiétudes au rez de chaussée. L'air frais sur son visage était grisant. Le froid qui s'infiltrait toujours parmi les murs à demi effondrés courait sur sa peau blême et la faisait claquer des dents, sans même qu'elle s'en aperçoive. Seul son irrépressible besoin de respirer se profilait devant elle. Elle manqua de chuter, mais parvint à se rattraper de justesse. Rire.

Alors que le vent se faisait plus frais et l'air un peu plus glacial, nous pénétrions tous les deux, bras dessus, bras dessous, dans l'antre du grand méchant loup. Je ne me souviens pas de la dernière fois où j'avais mis les pieds dans un endroit pareil. Sans doute jamais... Cette bâtisse n'avait rien de comparable aux vieilles granges dans lesquelles ont rangeaient nos récoltes et les semences pour la saison prochaine. C'était en rien comparable avec cet immeuble quasi sur le point de s’effondrer. Même si j'avais un peu peur que le plafond me tombe sur la tête, je ne craignais quand même pas d'y entrer. Après tout, je n'étais pas seul. Maya et moi passions beaucoup de temps ensemble. Que ce soit sur nos heures communes ou hors du travail. Dès les premiers instants, j'ai tout de suite su qu'on s'entendrait bien. Nous avons quelques similarités et c'est surtout là-dessus que nous jouions nos cartes. Alors que nous entrions dans ce mystérieux décor, briquet en main, la jeune femme ne pu s'empêcher de faire une remarque quant à la salle. « If I was getting married some day, I hope that the wedding room will be a little more classy... » Je ne pus m'empêcher de rire à en perdre mon souffle. Elle avait toujours ce genre de réplique bien placé, ce genre de remarque qui sort un peu de l'ordinaire. Ça ajoutait du piquant, je dois l'avouer. Elle me lâcha le bras, montant rapidement les quelques marches pour se rendre au deuxième planché alors que moi, seul avec mon briquet, je commençais à me demander ce que je pouvais bien faire ici. Je pris mon courage à deux mains et grimpa les marches lentement, pour être sûr de ne pas me faire mal. Arrivé en haut, elle me fit son habituel sourire. « Ce n'est définitivement pas un lieu pour se marier... Regarde ! Il n'y a même pas de lustre ! » Affirmais-je, en pointant le doigt au ciel, montrant l'endroit où il y avait sans doute déjà eu un luminaire. Ce bâtiment a sans doute déjà eu beaucoup de classe, jadis. Tout à New York a déjà eu de la classe, alors j'ose imaginer que ce lieu en à déjà marié plus d'un et qu'il a reçu plus d'un riche fonctionnaire. Je leva les yeux au ciel, regardant les fins rayons de la lune passer à travers les trous du plafond. C'était étrange d'apercevoir de si mince rayon filtré par des planches de bois. Soit que c'est l'acool qui me monte au cerveau ou soit que c'est vraiment parce que je trouve ça magnifique. Marchant un peu vers l'avant, je remarqua rapidement deux chaises. Peut-être n'étaient-elles pas les plus confortables du monde, mais ça me ferait bien plaisir de m'y asseoir. Je pris donc ma chère amie par le bras, l'amenant vers moi pour qu'on s'installe tous les deux sur ces chaises poussiéreuses. « Tu as déjà rêvé d'être une de ces femmes super riche qui a tout ce qu'elle veut ? » La question était sortie toute seule, comme ça. Faut dire que quand j'ai un peu trop d'alcool dans le sang, je suis capable de dire et de faire pas mal n'importe quoi. Gale n'apprécie pas réellement le fait de me voir un peu réchauffé, mais moi ça me fait me sentir un peu mieux dans ma misérable existence.