Entre eux cocktails je levais les yeux pour regarder l’horloge du Please Don’t Tell qui indiquait minuit passé. Il restait encore deux heures avant que le bar ne ferme ses portes pour la soirée, et encore des dizaines de poivrots à servir. Ca ne me dérangeait évidemment pas puisque j’adorais mon travail, et puis certains clients étaient des gens tout à fait respectables qui ne sentaient pas l’alcool toute la journée. Même si je me moquais bien au fond de ce que faisaient nos clients. De temps en temps je m’amusais à les regarder essayer d’aligner un pied devant l’autre. Ce qui était assez fréquent il fallait le dire. Maintenant que la vente d’alcool était interdite, la population en avait plus besoin que jamais et ne se privait pas pour aller à l’encontre des lois. Après tout c’était à prévoir, c’est en interdisant la vente d’alcool que celle-ci a certainement atteint son pique. Enfin il ne fallait pas être un génie pour le savoir, mais ce n’était pas comme si c’était moi qui dirigeais le pays. Alors dans un sens tout cela m’arrangeait puisque cela me permettait d’avoir plus de travail. Je ne suis de toute manière pas le genre d’homme à se plaindre, je prends les choses telles qu’elles viennent, un point c’est tout.

Une voix me tire alors de ma rêverie. Sûrement un client assoiffé et qui ne demande qu’à ce qu’on le serve rapidement. Je me retourne alors pour prendre la commande de ce client qui m’appelle. Et quand je vois à qui j’ai à faire, il est évident que cette personne ne savait absolument pas qui était le barman au Please, Don’t Tell. S’il l’avait su, je mettrais ma main à couper que plus jamais il n’aurait osé remettre les pieds dans ce bar. Je le toise alors quelques instants sans rien dire, un sourire moqueur au coin des lèvres. Je crois que le plus surpris de nous deux c’est évidemment l’homme qui se trouve en face de moi. Je crois pouvoir voir à son regard qu’il donnerait tout pour ne pas être là et pour pouvoir s’échapper le plus rapidement possible. Je comprends en même temps qu’il fasse tout pour ne plus avoir à me parler, ou ne serait-ce qu’à me croiser par hasard. Mais enfin ce n’était pas parce que nous avions passé une nuit ensemble que j’allais crier sur tous les toits qu’il était homosexuel. Surtout qu’il était évident qu’il ne l’était pas quand on voyait le malaise se créer à l’intérieur de lui. Et puis si je révélais ce détail, ma vie serait finie. Au sens propre du terme. De plus je n’allais pas non plus le violer, il pouvait se tenir tranquille. Enfin je me doutais que sa gêne ne partirait pas facilement, mais je n’étais pas ici pour lui rappeler ce que nous avions fait ensemble mais bel et bien pour le servir. « Que puis-je vous servir ? » demandais-je dans un sourire poli comme si nous ne nous étions jamais rencontrés auparavant. Je voulais juste qu’il se sente à l’aise, même si je me doutais bien que ce serait difficile. Et puis je ne voulais pas perdre un client non plus. Alors sans me départir de mon sourire j’attends qu’il me donne sa réponse pour que je puisse préparer le cocktail qu’il désire.