histoire

Under Pressure

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Une alliance à mon doigt. Je suis marié. La chose ne devrait pas me faire de mal comme ça. Si seulement j'avais pu choisir... Mais non. On m'a comme assigné cette poupée blonde aux faux airs de perfection, parfaite maîtresse de maison. Foutus mariages arrangés. Et dire que jusque là je n'ai vu qu'une fois la belle Elenore, et qu'au fond je ne l'épouse que pour sceller l'union (financière, faut-il le préciser?) de nos deux familles. Elle est donc maintenant officiellement Madame Sterling. Ridicule. Et moi, j'ai cette anneau autour du doigt, on aurait aussi bien pu me passer les menottes au poignet que ça aura eu le même effet. Mais je souris, comme elle. Mais c'est une façade, comment pourrait-il en être autrement ? Vraiment c'en serait impossible.
Mais commençons par le début. Mon nom est Gale Andrea Sterling. Fils de certain grand ponte de l'IMM (International Mercantile Marine, englobant un bon nombre de bateaux civils voguant sous pavillon américain, le Titanic à une certaine époque. Mais je présume bien que ce n'est pas le plus intéressant) enfin, il paraît que j'hériterais de la société à la mort de mon bien cher père, celui-là même qui me marie à une damoiselle rencontrée une seule et unique fois. Et dire que nous sommes au vingtième siècle... Ridicule. Véritablement. Mais je m'y plie, pour ne pas, je ne sais plus, ah si, combler ma famille de déshonneur, nous laisser sombrer. J'ai encore du mal à en revenir. C'est comme si nous étions juste considérés comme du bétail, des instruments de métal. Comme si pour eux, nous ne pouvions pas avoir de sentiments. Mais le fait est, je suis amoureux. Et d'à peut près tout sauf d'elle, qu'on m'a assigné pour unir nos familles. Avec qui je dois maintenant tout partager. Cet appartement bien trop gigantesque pour deux dans ce bâtiment historique, mon lit, ma vie. Plus rien n'est à moi, c'est à nous. Tout. Le moindre bibelot, le moindre sourire sera autant à elle qu'à moi. Et c'est sans parler des enfants qu'ils ne faudrait pas tarder à faire pour assurer des héritiers à l'entreprise comme on en assurerait à la couronne d'Angleterre.
Et il paraît que je dois travailler aussi. Mais mon bien cher père délègue. J'ai un bureau, des tâches assignées si je m'ennuie mais je sais bien qu'il ne me fait pas assez confiance. Pourtant il faut sauvegarder les apparences, alors comme lui je rencontre les clients. Il m'enseigne ce métier sans aucun sens, et je m’exécute. Sans histoire, sauvegardons s'il vous plaît les apparences. Et elles seront sauves tant que mon petit secret ne sera pas éventé. Et la jolie blonde me sourit. Il paraît que nous formons un très beau couple. Apparences. Que nous avons l'air très amoureux. Foutaises. Que nous sommes aussi beaux et riches l'un que l'autre, qu'ainsi nous devrions être les rois du jour comme de la nuit, rois et reines de la haute New-Yorkaise de nos chères années. Années noires, si noires le jour, quand on voit les bourses chuter et années folles dès que le noir se fait, dès que les dancings ouvrent et que les femmes remplacent leurs tabliers par des robes à franges et des portes-cigarettes, que les hommes finissent le travail, posent leur vestes et vont rencontrer le Jazz, ou le charleston, loin du monde trop classique des affaires, des manigances. Monde ou je vis. Années folles, en effet. Car bien trop paradoxales.
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Ses dents s'enfoncent légèrement dans mon épaule, mes mains dans le bas de son dos forçant presque son corps à s'approcher plus, même si c'est bel et bien humainement impossible, et je m'effondre sur son corps si frêle. Étrange brume post-orgasmique. Et le bel amour reste tout contre moi, dans mes bras, nos corps encore tremblants de plaisir, en sueur, enlacés. Mais enlacés pour toujours. C'est cet ange qui me fait considérer mon mariage de façade comme une prison. Parce que c'est une bague nous liant que j'aurais voulu avoir au doigt. Six mois, huit, un an. Un an que j'en suis tombé amoureux et que je l'ai pour moi, que je ne demande rien d'autre que ses lèvres contre les miennes jusqu'au tombeau, que sa peau si pâle pressée contre la mienne, contrastant agréablement, et que ses yeux, mon dieu ses yeux aussi bleu que l'océan. Je souris doucement, dans le vague, même si tout lui est bien sûr adressé. Mes bras le serrent plus fort et je murmure simplement, tendrement. « Je t'aime, Amore Mio. Ça va ? » Et ses yeux ne se détachent pas des miens, ses yeux ou je voudrais me noyer. Son regard se perd dans le mien et je sens ses bras se refermer sur ma nuque. « Je me suis jamais senti aussi bien, silly. » L'horloge sonne vingt heures un peu plus loin. Plus que trois, quatre heures à la rigueur, avant de devoir le quitter mon bel amour. Le laisser là, dans ces draps qui seront devenus froids. Mais je souris. Car il est là.
Lui. Mon ange. Mon tout. Andrew. Et il est mien parfaitement mien. Et moi, même si je suis marié maintenant, je reste tout à lui. Mon cœur et mon corps. On parlait des apparences n'est-ce pas ? C'est bien parce qu'il est lui que je n'ai pas eu le choix, que je n'ai même pas pu le présenter à mes parents. Des larmes ont coulé le long de ses joues quand il a vu l'alliance à mon doigt. Parce qu'il a eu peur. Que j'ai eu quelqu'un avant lui, que je le quitte. Mais non, non, il sera toujours le seul à mes yeux. Le seul et unique. Celui que j'aime. Et c'est moi qui ai du lui dire ça, le rassurer, lui dire à quel point je hais ce monde dans lequel nous vivons, que rien ne changeait. Que je lui appartenait pour toujours. C'est là que j'ai joué à un jeu étrange, faisant fermer ses yeux, et lui passant une alliance au doigt. Nos initiales. Amore Mio. Gravé tout à l’intérieur de l'anneau doré. Et que j'ai enlevé la mienne, l'officielle, un simple anneau d'or pur, pour la remplacer par une autre, identique à la sienne. Identique à ma première à l’extérieur, mais n'importe qui prendrait la peine de lire les caractères gravés dans le métal verrait que ce n'est pas la bague des papiers, celle qui me relit à une certaine Elenore Primrose Sterling, née Jefferson, mais que c'est ma véritable alliance, véritable pour moi. Pour mon cœur. Mais l'homme qui partage cette bague, cette vie, je ne pourrais pas l'emmener danser sur la cinquième, au milieu des gens de la Haute que je côtoie, de ces riches contents de leur sort. Je ne peux pas passer mes nuits le serrant contre moi entre les draps... Parce qu'il faut que je rejoigne ma couche officielle. Celle qui m'a été assignée quand on m'a donné cette alliance. Je lui fais croire que je travaille tard, qu'il me faut voir des gens. Mais je suis bel et bien sûr que si je passais la nuit ici, la belle blonde se douterait de quelque chose. Elle n'est pas vraiment idiote à ce que j'ai pu en voir. Elle ferait une parfaite maîtresse de maison, parce que les apparences le recommandent mais je sais qu'elle aurait pu faire autre chose.
Et ici... Ici. Chez moi. Mon vrai chez-moi. Ma garçonnière comme ma bien chère mère avait pris l'habitude de l'appeler. Qu'on a bien consenti à me laisser sachant qu'une partie des archives et de mon travail se fait là, même si objectivement, il ne consiste en pas grand-chose qu'en me faire bien voir. Ce que je vais bien entendu taire à la nouvelle Madame Sterling. J'étais heureux là, avant le mariage, d'y vivre. Sûrement parce que j'y héberge mon bien cher amant. Andrew, cher ami. Dont le maigre salaire ne le mène sûrement pas bien loin. Il me dit qu'il ne veut pas qu'on l'entretienne, alors il continue, foutus petits boulots. Serveur la plupart du temps. Même si moi je sais de quoi il rêve. De Jazz. De scènes. Et je me le promets, je lui ferais accéder à tout ça un jour, d'une façon ou d'une autre. Je l'aime juste tellement. Plus que tout.
Je me tire hors du lit, me rhabillant et l'aidant à en faire autant. Mes lèvres se posent sur les siennes encore et encore, et nos doigts s'entremêlent, ces alliances semblables même si ne portant aucun sens légal s'entrechoquent. Je veux l'emmener loin, dehors, avec moi. Danser, boire, oublier. Ensemble. Alors, comme toujours, pour éviter ces ragots qu'on pourrait lancer, ce déshonneur qui tomberait sur ma famille, ces gens que je connaîtrais on va plus loin. A un endroit ou personne ne prêtera attention à nous. Ou je pourrais danser avec lui. Les dancings des bas quartiers ou on ne fait que danser, on ne parle pas affaires. Speakeasys. Illégalité. Tout n'est que Jazz et liqueur. Les nuits ne sont qu'oubli. Oubli qu'il y a un jour, et qu'il y a cette fameuse grande dépression qui n'est plus une menace mais tellement réel, qui pourrait ruiner les plus riches d'un moment à l'autre. Oublier que notre cher pays tente de nous retirer notre droit à l'amusement en nous retirant beaucoup de choses. S'amuser. Sourire. Danser. Oublier. Il est là. Même si je ne peux pas le dire, même si rien ne pourra jamais être officiel. Ce qu'on est... Notre amour serait ici bas considéré comme une maladie. Ridicule.
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Exténué. C'est le seul mot pour décrire mon état quand je rentre, et il n'est même pas une heure. Il faudra croire que mon amour m'a épuisé ce soir. Il a posé sa tête sur mon épaule dans le taxi, et j'ai fermé les yeux un instant, oubliant ou nous étions, pourquoi cette situation si pesante. Avant de le repousser légèrement, le pauvre amour. Parce qu'enfin, nous descendions la cinquième, et que de la rue n'importe qui aurait pu nous voir. Des fois j'ai bien envie qu'ils nous voient, de le laisser faire et que tout soit fini. Plus de réputations, plus que nous. Mais non... Je ne peux pas. Je ne crois pas. Il faut nous cacher. Préserver ces fameuses apparences. Mon dieu que je peux les détester.
Je me couche bien vite près de la poupée blonde, Elenore, vraiment, il faut que je l'appelle par son nom. Je la crois endormie mais non. Ses yeux sont bien ouverts quand elle pose sa tête contre ma poitrine. Je me tends immédiatement. J'ai promis après tout... De n'être qu'à lui, corps et esprit, et de tout lui dire le jour ou il serait irrémédiable de consommer ce mariage. Que mon cher ami soit le premier au courant. « Pas ce soir, non. S'il te plaît ? » Mais ses bras se nouent autour de mon torse, comme si elle n'allait pas lâcher le morceau, pas maintenant. Il faut bien l'admettre, elle est belle. Je pourrais la qualifier de désirable si je n'étais pas étrangement plus attiré par les hommes. Par mon homme, principalement. Le genre de femme à la beauté indémodable, la beauté classique, blonde à la peau pâle et aux lèvres rouges. Femme fatale, certains diraient. Ma femme. Mon épousée. Celle que je ne veux pas pour moi. Simple comme bonjour.
« Tu... Tu ne me trouves pas... Désirable ? A ton goût ? Explique moi. Je veux savoir pourquoi tu refuses de me toucher comme ça. » Ses jambes se nouent autour de ma taille et la voilà assise sur mes hanches. Pitié pas ça. Je ferme les yeux. « Tu es... Tu es désirable. Je suis juste fatiguée. Ai travaillé comme un fou aujourd'hui. » Ses lèvres s'étirent en un sourire triste et elle retombe sur le côté allongée, comme vaincue. « Deux semaines que tu m'as passé la bague au doigt et tu ne m'as pas embrassée une seule fois sans public, pas touchée une seule fois, et tu ne veux pas qu'on consomme ça ? Eh bien mon bon ami, il va falloir vous y résoudre, aussi hideuse que je puisse être. Nos parents attendraient un petit enfant pour sceller notre union d'ici l'année prochaine, alors il faudrait vous décider vite. » Mes yeux se ferment. Je m'endors. Et je cauchemarde. Voilà, 'est ce qui va se passer, la famille parfaite, pleine aux as. De la Haute. Pour l'honneur. Alors que je ne veux que lui... Mais c'est vrai ce que la demoiselle dit. C'est tout à fait vrai. Il va falloir que je m'y résolve, et que je le fasse, une bonne fois pour toute. Sceller cette union qu'aucun de nous deux n'a choisi. Pour sauver les apparences.
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Je lui tends une main secourable, l'invite à danser. Elenore. Elle sourit, même si je sais y lire beaucoup plus qu'un sourire, car il ne veut rien dire. Ce n'est qu'un masque, pour les apparences, prouver qu'après ces quelques semaines de mariage notre couple va pour le mieux, le prouver à tous ces yeux rivés sur nous. Nous qui devrions être les rois de cette nuit New-Yorkaise, dans cet endroit des plus huppés. Un seul regard me gêne, celui si bleu d'un serveur qui a stoppé son travail à l'arrière plan, d'un garçon que beaucoup ne voient pas. Mais qui brille plus que n'importe quelle autre personne pour moi. Andrew, encore et toujours, Andrew. Mais il sait comme moi pourquoi je fais tout ça, pourquoi je dois le faire. La faire danser, pour faire croire à un couple heureux alors qu'au fond je ne la connais pas. Pour ne pas que nos chers actionnaires, croyant à quelque embrouille familiale, décident d'arrêter d'apprécier l'IMM. Car il faut le dire, l'apparence des dirigeant de ces entreprises, leur santé, toutes ces choses ont une importance assez impressionnante quand on parle de bourse, à en croire mon bien cher père.
Et elle rit alors que je la fais danser, encore et encore, au long de la nuit, et je joue la comédie, l'air de ne jamais me lasser de ses yeux de biche. Une heure passe, presque deux avant que je la raccompagne à notre table, tirant sa chaise. « Je reviens darling.» Darling. Oh tellement commun. Parce que ce n'est pas elle que je crève d'appeler par quelque doux noms. Mes doigts ne peuvent s'empêcher de trembler quand elle lâche ma main, faisant glisser légèrement mon alliance. Pas assez pour qu'elle tombe et qu'elle découvre les caractères miniatures à l’intérieur. Caractères qu'il n'y a pas sur mon alliance officielle, celle qui me lie à elle. Quelque mots en italien, langue de ma mère, des initiales qui ne sont pas les siennes. Je serais simplement découvert. Et je ne pourrais pas dire qu'elle a halluciné, que l'alcool la rend folle, non, étant donné qu'il n'y en a plus. Ou presque. Pas ici en tous les cas. Prohibition.
Je prends discrètement la direction des toilettes, non sans un dernier sourire de façade, avant de bifurquer derrière une colonne dans un couloir vide. Y plaquant mon amant, avant de remarquer les larmes dans ses yeux. « Hey... Qu'est-ce qui se passe ? » Je lui souris tendrement, le serrant contre moi. J'ai un mauvais pressentiment, celui de savoir ce qu'il va dire. « Tu l'aimes ? Dis-le-moi ? Tu l'aimes ? Tu la veux ? Regarde, juste regarde comment t'es avec elle. Tu vas lui faire des gosses, comme tes parents te le demandent, et puis tu vas m'oublier. » Mes mains retrouvent leur place, une sur sa joue, l'autre sur sa hanche. Un regard à gauche, à droite, avant de presser mes lèvres contre les siennes. Personne ne nous a vu, j’espère. Il n'y a qu'à espérer. « Amore Mio. Je n'aime que toi. Que toi. Et si je la touche, tu seras le premier averti. Tu sais que je devrais le faire, tu le sais. Mais cette famille n'aura aucun sens, c'est encore, encore comme un jeu idiot. Et j'y suis un pion. Tu es tout ce qui veut dire quelque chose pour moi. Finis ton service. Rentre à la maison. Je serais là à la première heure demain matin, je te le promets. » Ses yeux se ferment, et il consent enfin à me lâcher un sourire. « D'accord » Amore Mio. Je ne sais pas pourquoi c'est évident ce ne peut être que lui.
Une ombre s'éloigne, une ombre et je la suis, il n'y avait personne, il ne pouvait y avoir personne à nous espionner, j'ai du halluciner, je retourne dans la salle pour retrouver une demoiselle, mon épouse au sourire plus crispé encore. Il est rentré, en sécurité. Nous allons sûrement moi et Madame Sterling bientôt en faire autant. Mais je ne comprends pas pourquoi son masque s'est comme durci le temps de mon absence. Comme si elle avait vu quelque chose qu'elle n'aurait pas du voir. Mais je ne fais pas le lien. Mais je lui souris. « Il va falloir rentrer je pense Darling. J'ai une longue journée demain... » Et elle obéit, comme prévu. Elle me suit. Les femmes ne se rebellent pas encore. Pas dans ce monde.

crédit © Lady Lala & Tumblr

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