histoire

you know the bed feels warmer sleeping here alone

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You’ll be all right,

No one can hurt you now.


« C'est une petite fille, félicitations ! » L'homme vêtu d'une blouse de couleur blanche se rapprocha du lit, portant entre ses bras un empêtrement de tissu, tâché de sang par endroit et gigotant par intermittence. D'un geste mesuré, il le déposa délicatement sur la poitrine de Madame Jefferson, encore essoufflée par l'effort fourni. Son visage trempé de sueur, mais pourtant toujours aussi resplendissant, s'illumina à la vue du bébé disposé entre le drap. Ses joues semblaient roses et parfaitement rondes. Ses yeux, bien qu'encore quelque peu foncés, ne tarderaient pas à devenir aussi vert que ceux du père et ses cheveux presque inexistants étaient d'un blond quasi blanc, fin comme un duvet. Avec précaution, Madame Jefferson plaça une main contre la tête de la petite fille et son sourire s'élargit.
De l'autre côté du lit, resté discret et n'ayant encore prononcé aucun mot, se tenait Monsieur Jefferson, un homme grand et robuste. Il avança d'un pas, prenant pleinement conscience de la présence de sa fille, elle qui aurait dû être un il. Mais devant la beauté précoce du nourrisson, il ne put empêcher un faible sourire de se former sur ses lèvres charnues. Elle avait beau ne pas être ce qu'il attendait, un héritier pour reprendre l'entreprise familiale, il pouvait être sûr d'une chose : cette petite ne le décevrait pas.
Monsieur Jefferson s'assit prudemment sur le lit d'hôpital, passant une main par-dessus le corps fatigué de son épouse. Puis, tout aussi délicatement que sa force le lui permettait, il déposa un chaste baiser sur le front du nouveau-né.
« Bienvenue dans la famille, Primrose. »

Cher journal,
Mère m'a encore fait des reproches aujourd'hui. Mon dos me fait mal, parce qu'elle m'a obligé à rester droite pendant tout le diner. J'avais tellement peur qu'elle me hurle dessus que je n'ai plus osé bouger du reste de la soirée. Et comme Père ne semblait pas de bonne humeur, j'ai été obligée à ne pas parler, comme Mère me l'a enseigné : « Une fois rentrés de leur journée de travail, les hommes sont fatigués et irritables. Interdiction de parler sans qu'ils ne le proposent avant. » C'est un peu strict, mais Mère dit que si je respecte toutes les règles, je serais très heureuse plus tard.
Souvent, je m'imagine à la place de Mère. J'aimerais porter d'aussi belles robes que les siennes et avoir une grande maison, avec beaucoup de meubles et une immense bibliothèque avec des tas de livres. Mère m'a aussi dit que je devrais avoir un mari. Mais je suis encore trop jeune pour comprendre ça... En tout cas, j'espère qu'il sera comme Père : grand, fort et riche. Mère dit que ce sont les principales qualités qu'il faut regarder chez un garçon.

La sonnette retentit vers les dix-neuf heures et le silence se fit dans la maison des Jefferson. Edlyn, la mère, jeta un rapide coup d’œil à sa fille, vérifiant le moindre petit détail de son comportement. Mais sa robe beige tombait bien, sa posture semblait correcte et elle abordait une expression sereine. Avec un sourire, la femme s'installa auprès de son mari, puis elle ouvrit la porte de leur maison. Sur le perron se tenait un couple à l'allure élégante. Ils ressemblaient même en tout point à la famille Jefferson ; droits, fiers et probablement très riches. Nelson serra la main de l'homme et les invita à entrer.
Primrose, restée en retrait dans la pièce principale, rajusta sa tenue. Loin du regard sévère de sa mère, la jeune femme se laissa aller à la panique et son visage se décomposa. Là, derrière cette porte, se trouvait probablement sa future belle-famille. Et son futur mari. Elle divagua pendant un moment, imaginant son apparence, les traits de son visage, le son de sa voix. Cela lui était arrivé un nombre considérable de fois depuis que ses parents lui avaient parlé de mariage. Quoi de plus normal ? Si cet homme leur plaisait - si elle plaisait à cette famille, Prim passera le restant de ses jours avec lui. Ensemble, ils fonderaient la famille Sterling-Jefferson et prendraient un jour la place de leurs parents.
Lorsque les voix se rapprochèrent, Primrose se redressa instinctivement, cachant son anxiété derrière ce masque de femme parfaite que sa mère s’était épuisée à créer. Entrèrent alors ceux qu’elle imaginait être le couple Sterling, puis, avant qu’elle n’ait pu dire un seul mot, son futur époux. Sans se départir de son expression, Prim posa les yeux sur cet homme à la silhouette avenante. Eh bien, tu n’es pas si mal tombée, Prim. Il semblait être en apparence l’homme que toutes les femmes rêvent un jour d’épouser, mais la jeune Jefferson ne put s’empêcher de remarquer sa mâchoire se serrer une fois que leurs regards se furent croiser. Il afficha un faible sourire, peu convaincant, car ses yeux lui parurent dépourvus de toute joie.
D’un pas lent, le jeune homme s’approcha de Primrose et lui prit la main. Elle l’observa attentivement, examinant ses boucles noires, sa peau hâlée et ses lèvres pulpeuses. « Gale Sterling. » Une voix rauque, plaisante à écouter. « Primrose Jefferson. » Un demi-sourire se dessina sur son visage tandis qu’il se penchait pour embrasser sa main.

Hold on to this lullaby.

Even when the music’s gone…


Fermant les yeux, Prim s’installa confortablement dans sa baignoire, savourant le contact de l’eau chaude contre sa peau, dissipant les tremblements qui l’avaient parcouru pendant toute la soirée. D’un air absent, elle se mit à chanter les paroles d’une chanson qui maintenant prenaient un tout autre sens. « But it’s hard to love someone when that someone don’t love you. » Elle ouvrit les yeux, passant un regard sur la table basse à ses côtés. Sous la colère et la honte, la jeune femme y avait déposé sa bague, souhaitant oublier pendant un moment qui portait sa jumelle. « I’m so disgusted, heartbroken, too. » Les souvenirs de la nuit passée lui remontèrent en mémoire. Elle revit le décor de la pièce, les couples danser sur du jazz et les serveurs zigzaguer entre les tables…

Ses yeux passent sur la foule des danseurs et un soupir s’échappe de ses lèvres rouges. Plusieurs semaines ont passé depuis le mariage et tout semblait aller de travers. Ou du moins, lorsqu’ils étaient seuls. Prim s’était déjà résignée à ne pas être touchée, embrassée. Gale restait distant, même en ayant à ses bras une femme charmante, désirée de tous. Jouant distraitement avec sa bague, elle ne vit pas Gale se redressait. Elle leva les yeux lorsqu’il se posta face à elle, lui offrant son bras. Sans un moment d’hésitation – les tables voisines ne tarderaient pas à poser leur regard sur eux, Prim accepta l’invitation et le suivit jusqu’à la piste de danse, le sourire aux lèvres.

« Trouble, trouble, I’ve had it all my days. » Des larmes se formèrent dans ses yeux, brouillant quelque peu sa vision. Elle détourna le regard de la bague, espérant gommer ces souvenirs de sa mémoire. Peine perdue. Elle se revit tournoyant dans ses bras, presque heureuse de pouvoir s’adosser à son rôle de femme parfaite. Elle s’entendit rire aux éclats, partager entre l’envie de s’asseoir pour se reposer et celle de danser jusqu’à ne plus sentir ses pieds. Mais Gale était rarement aussi allègre. Elle avait donc décidé de prolonger le moment, d’en faire un de ceux qu’elle pourrait raconter à ses futurs enfants. « It seems that trouble’s going to follow me to my grave. »

Ils finirent par se rasseoir plus tard dans la nuit, respirant difficilement et palpant leurs jambes endolories. Il ne lui fallut pas longtemps avant de s’excuser et de partir, mais cela n’inquiéta pas Prim. Son sourire ne semblait pas vouloir s’effacer. Elle avait beau ne pas véritablement aimer Gale – ou du moins, l’aimer comme elle le devrait – ces moments la rendait de bonne humeur. Elle eut le temps de finir son verre avant de remarquer qu’il ne revenait plus. Il ne lui fallut qu’une seconde de réflexion pour savoir ce qu’elle allait faire. Se giflant intérieurement comme punition, elle se dirigea vers les toilettes, priant pour qu’il soit déjà sur le chemin du retour. Mais le couloir était vide et elle serait probablement partie si elle n’avait pas entendu sa voix. Prim reprit sa route d’un pas de loup, bloquant sa respiration pour ne pas être entendu.

D’un geste brusque de la main, elle effaça les larmes tombées sur ses joues. Mais ses sanglots ne s’arrêtèrent pas pour autant. Les mêmes qu’elle avait refoulés ce soir-là, lorsqu’elle l’avait découvert dans les bras d’une autre personne. D’un homme. Avec lui, il semblait être une autre personne. Prim ne lui avait jamais vu cette expression, ni même ces gestes tendres, ce baiser qu’elle désirait tant… « Got the world in a jug, the stopper’s in my hand. » Elle n’avait rien dit, évidemment. Comment aurait-elle fait ? Se révolter ne serait jamais une option pour elle. A présent, il lui fallait vivre dans le secret, accepter le fait que son mari l'a trompé et surtout, ne rien dire à personne. La honte la tuerait si son entourage venait à savoir que son époux menait une double vie auprès d’un autre homme. « Going to hold it, baby, till you come under my command. » Elle ne voyait pas d’issus à ce problème. Néanmoins, elle pourrait tourner cette découverte à son avantage et obtenir ce qu’elle désire sous peine de dévoiler son secret. C’était un mensonge, évidemment. Jamais elle n’avouerait à personne, mais mentir ne l’avait jamais dérangé.

crédit © livejournal & tumblr

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