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Sujet: try to set the night on fire ◮ gabriel&eve Sam 24 Déc - 9:02
try to se the night on fire
Bienvenue dans le merveilleux sujet de Conception Evpraksiya-Honor Kniaz qui va avoir l'honneur d'avoir comme partenaire Eugène Gabriel Johnson. Actuellement ils font un sujet privé. N’est ce pas merveilleux ? L’histoire se déroule le trois janvier mille neuf cent vingt-quatre à deux heures du matin alors que la météo est pluvieuse. A présent, il est temps de laisser la parole au créateur du sujet : il s'agit du rp de rencontre des deux fiancés - qui ne se connaissent pas comme tels.
Dernière édition par C. Evpraksiya-Honor Kniaz le Mar 27 Déc - 19:48, édité 1 fois
C. Evpraksiya-Honor Kniaz
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Sujet: Re: try to set the night on fire ◮ gabriel&eve Mar 27 Déc - 19:42
it's not unusual to have fun with anyone
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Elle s'était jetée sur le piano dès la salle vidée. Elle avait le silence pour elle, souillé uniquement du son cristallin des verres que les serveurs rangeait avec discrétion. Ses doigts couraient, volaient, sur les accords d'ébène et d'ivoire, au rythme indécis de son esprit rapide. Les notes s'enchaînaient dans une improvisation enjouée, à la fois dramatique, et lui arrachaient un éclat, un sourire dans son regard terni par l'alcool. Elle avait passé la soirée à boire, à faire suivre les verres, bien loin de prendre conscience de la loi et du mal qu'elle s'infligeait, plongeant dans une tourbe de sentiments qu'elle ne pouvait définir, mais qui ravivaient son génie, qui lui permettaient de ne vivre que de musique. Ainsi installée, fébrile, ses mains féminines et trop fines, usées par les cordes d'un violon inhabituel, elle resplendissait de vie, d'un bonheur solitaire et satisfait encouragé par la création. Elle n'avait de limite que la bien pauvre vitesse humaine et son imagination, exhortée par le whisky, excitée par cette salle vide et cette acoustique simpliste. Elle se délectait du son pur et nu du piano, qui résonnait contre les murs clandestins et pénétrait son oreille experte en chantant. Elle se sentait plus libre, ici, bien plus que nul part ailleurs. Dans ce bar caché de tous, où les drogues de la création lui étaient encore accessibles, elle pouvait se dévoiler une fois tous les fêtards de la ville disparus. Elle avait la salle pour elle seule, les serveurs avaient appris à la laisser tranquille et à apprécier un dernier morceau avant de rentrer dans un appartement désuet, fatigués. Elle avait son public d'habitués discrets et complices, qui évitaient de juger son sexe pour une demi-heure de composition, de pure jouissance pour Evpraksiya.
La mélodie cessa soudain, remplacée par un son rude et brutal de touches frappées, par hargne et dégoût. Non. Non, c'était bien trop heureux, léger, enjoué. Il fallait quelque chose de bien plus grave, dramatique, sans pour autant tomber dans cette dévotion religieuse classique et ridicule. Elle ôta son chapeau de feutre gris en soufflant, dépitée par le peu d'inspiration qu'elle détenait ce soir là, et détacha le chignon rapide qui retenait ses mèches brunes et rebelles. Elle était venue en homme. Elle préférait le regard plein de respect, de crainte, d'envie en regardant son visage d'éphèbe ou ses costumes richement taillés. Elle préférait les murmures et les gloussements des femmes, qui souriaient et se moquaient de cet homme efféminé tout en rêvant qu'il vienne leur proposer une danse. Elle s'accoudait au bar, accueillait les regards curieux par une indifférence travaillée, enchaînait les verres et appréciait l'ambiance libertine de ces boîtes de jazz. Mais elle passait auparavant la soirée officielle au Palace, à regarder sans véritable intérêt le programme proposé, avant de fuir au Please Don't Tell. Habituée du lieu, c'était ici qu'elle trouvait de quoi nourrir son ambitieux et dévorant génie musical, et à l'exercer en toute liberté, finissant sur une révérence aux serveurs qui l'applaudissaient, ravis. Puis elle rentrait, Cinquième Avenue, triste routine répétitive qui n'avait de pétillant que ces fins de soirée. Mais personne ne l'acclama gentiment, cette fois-ci, par soucis de ne pas déranger cette crise artistique.
Eve entendit des pas derrière elle, chose inhabituel au vu du respect teinté de crainte qu'elle inspirait toujours, qu'elle soit travestie ou non. Elle ne se retourna pas, persuadée qu'il s'agissait d'un serveur peu habitué à ses frasques nocturnes venu lui demander de quitter les lieux. Machinalement, elle retroussa sa manche droite, dévoilant le satin anthracite d'une chemise, et laissa sa main exercer souplement quelques accords, simples et agréables. Elle n'arrivait à rien, ce soir. Et elle en était passablement agacée, plus âcre que d'ordinaire. Quand elle se rendit compte que le serveur derrière elle n'avait pas bougé, elle l'apostropha, d'un ton mi-sec mi-amusé de cette récidive. « Je vous ai dit que je comptais rester, mon cher. » Elle augmenta la cadence de sa main droite, et laissa sa gauche venir la rejoindre tout naturellement. Le piano brillait, d'un noir laqué inhabituel en ces lieux clandestins. Il trônait, seul, sur un ersatz de scène, entouré de murs dénudés et de tables vides, sales. Les bruits cristallins des verres s'étaient tus, tout comme les bavardages las des serveurs. Et, jouant de ses cordes et de ses marteaux, figure plus insolite encore, cette jeune Artémis aux cheveux lâchés, en costume et chaussures brillantes, son chapeau négligemment posé sur le bois laqué de l'instrument. Oh, elle savait à quel point cette image sensuelle était rare et ironique, et elle en jouait.
L'inconnu ne l'avait toujours pas quittée. Elle lui lança une dernière pique, toujours agacée mais amusée - et surtout ivre - de cette situation cocasse. « Oh, et apportez-moi un whisky je vous prie, tant qu'à rester planté ici. » Elle se retourna avec un sourire qui se voulait ravageur, continuant d'exercer ses doigts à un rythme effréné. Puis se décomposa, bien que ravie du tour que prenait sa soirée. Sa gymnastique musicale cessa brutalement. Il ne s'agissait en aucun cas d'un serveur. Il portait des vêtements luxueux, brillants, un unique gant de cuir, et semblait tout à son aise ici. Elle s'étonna, certaine d'avoir vu tous les clients partir après une heure encore assez décente. Mais à la réflexion, il n'avait pas l'air d'un des clandestins. Du tout. Elle accentua son sourire, et s'adressa à lui d'une voix mielleuse et fausse, qui espérait qu'il ne l'ait pas reconnue en tant que femme. « Oh, vous ne faites pas partie du personnel ... Vous n'alliez pas me déloger de ce piano, rassurez-moi ? Prenez un tabouret, venez ! Tenté par un quatre mains ? » Elle était complètement soûle. Soûle, et inconsciente. Soûle, échauffée, trop peu discrète, ravissante dans cette petite exclamation spontanée. Elle se décala légèrement sur la gauche, lui offrant encore une fois une place à ses côtés, admirant ses traits fins et agréables, son regard affable et mystérieux. Soûle et impudente.
Dernière édition par C. Evpraksiya-Honor Kniaz le Ven 19 Avr - 20:10, édité 1 fois
E. Gabriel Johnson
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Sujet: Re: try to set the night on fire ◮ gabriel&eve Mar 27 Déc - 22:53
Je suis trempé, de la tête aux pieds, lorsque j’ouvre enfin la porte du Criff Dogs. Sous mes pieds, le carrelage devient glissant. Mon manteau n’est plus qu’une serpillère informe, j’ai de l’eau dans les chaussures, mes chaussettes sont des éponges. De toutes mes extrémités, je ruisselle presque autant que ces nuages gris qui déversent leurs pleurs. Mes cheveux d’ébène plaqués sur mon visage créent quelques larmes sur mes joues. Je dois dire que, en passant près du miroir de l’entrée, je ne me reconnais pas moi-même. Je prends le temps de m’arranger, avant de me rendre dans le speakeasy. Je passe une main entre mes mèches, dans l’espoir d’en faire quelque chose. En vain. Un serveur à la délicate attention de m’apporter une serviette sèche pour m’éponger le visage. De chiffon usé je passe à chien errant. C’est mieux que rien. Je soupire, arrange mon manteau, révise mon faux sourire. J’entre finalement dans la petite cabine téléphonique depuis laquelle on me fait pénétrer dans le bar clandestin. Il y fait chaud, la pièce est toujours aussi enfumée. Mon faux sourire devient immédiatement des plus sincères. Je salue tous les clients et employés que je croise sur mon chemin. Mon rituel habituel ; poser le manteau sur le comptoir pour que Joseph s’en occupe, lui serrer la main, lui demander un French 75, saluer Alice, puis Andrew, me frayer un passage en écrasant le moins de pieds possible, m’occuper des poivrots ivres morts, allumer une cigarette, et enfin m’installer à ma banquette privée où mon cocktail m’attend déjà. Une routine que je chéris. Mais ce soir, je ne peux pas me permettre de rester assis toute la nuit, ni de prendre un second French 75. J’ai une pochette pleine de paperasse que je repousse au lendemain depuis des jours et qui doit être bouclée au plus vite. Je prends une heure pour moi, pour me retrouver. Je bois lentement le cocktail, je laisse mon regard glisser sur l’ensemble de la pièce. Le jazz résonne, mes doigts tapent le rythme sur la table. J’enchaine, cigarette sur cigarette. J’emplis mes poumons de cette fumée âpre qui brûle le fond de ma gorge avec délice. Parfois, je me laisse aller sur le dossier de la banquette, ma tête en arrière, les yeux fermés. Je scelle mes paupière pour mieux les rouvrir, redécouvrir ce monde à la lumière tamisée, les arabesques dans la fumée, et cette masse en constant mouvement tel un océan humain. J’aime tant sentir que je ne fais qu’un avec ce lieu, qu’il m’apprivoise, qu’il m’enrobe. Mais je me lève soudainement de la banquette, et quitte ma place. En une fraction de seconde, j’entre dans mon bureau. La fatigue commençant à me saisir, je savais que la prochaine fois que je clignerai les yeux, plusieurs heures passeront malgré moi. Je devais donc me mettre au travail pour rester éveillé. Même si, au final, je me suis endormi sur ma table.
Des minutes, des heures passent. Je sursaute sans savoir pourquoi, je suis tiré de mon sommeil sans savoir comment. Un lointain bruit sourd ponctue des courts silences. Ou l’inverse. Je lève lentement la tête, mon crâne est lourd. J’émets un grognement digne d’un homme des cavernes, censé dire que la porte est ouverte. Et la porte s’ouvre. « Gabriel, c’est l’inventaire. Il est presque deux heures, on vient de fermer. Tout va bien ? » Mes paupières s’ouvrent difficilement. J’hoche machinalement la tête. « Oui, oui. Tout va bien. J’ai enfin une raison de te croire quand tu dis que je travaille trop. » J’ai un sourire machinal qui étire mes lèvres, l’automatisme de passer une main dans mes cheveux –qui ne ressemblent toujours à rien. Joseph a un éclat de rire, acquiesce et ferme la porte. Il a déjà vu pire de ma part. Bien pire qu’une tête de déterré.
Je ferme la porte de mon bureau quelques minutes plus tard, frais comme un gardon. Et coiffé, oui. La salle est vide mais loin d’être silencieuse. J’entends à l’autre bout de la pièce une mélodie joyeuse, enjouée, des plus agréables. Le toucher est doux, fin, précis. Je ne décèle pas la moindre fausse note. Tout est si fluide, si limpide. Puis brisé par un éclat de colère qui pique ma curiosité. Je me risque à approcher, silencieusement, quittant le mur derrière lequel je me dissimulais jusqu’alors. Mon regard se pose sur le pianis… Pardon, la pianiste ? Je me fige, mon regard ne la quitte plus. J’ai suivi les ondulations de la cascade de sa chevelure de déployer avec grâce, transformer l’homme en femme. Je ne peux pas cacher ma surprise, mais je reste silencieux. Amusé, un léger sourire anime le coin de mes lèvres. Elle reprend la mélodie, je continue de m’approcher. Juste derrière elle, penché au-dessus de son épaule, j’admire la facilité avec laquelle ses doigts passent d’accord en accord, caressent les blanches et les noires. La jeune femme me fait signe de partir, qui ne fait qu’élargir mon sourire. J’adresse un regard aux employés encore présents, dont Joseph ; ils sont tous au moins aussi amusés que moi. Ils n’osent plus faire le moindre bruit. Ils observent la scène. La jeune femme me réclame un whisky, et j’arrête Joseph avant qu’il n’ait même l’idée de la servir. Cette demoiselle me semble déjà bien assez éméchée pour avoir droit à un autre verre. Elle daigna enfin se retourner pour voir à qui elle s’adressait avec autant d’assurance. « Bonsoir. » fis-je avec un fin sourire. Non, en effet je ne fais pas partie du personnel. Ou alors, on ne m’a pas mis au courant. Non, je ne compte pas la déloger du piano. De toute manière, quelque chose me dit qu’elle sortirait les griffes si j’essayais. Mais je n’ai pas l’occasion de répondre à ses interrogations, elle va bien trop vite, et elle s’en fiche sûrement. Je reste donc muet, je prends le tabouret et m’installe près d’elle. Machinalement, je remonte mes manches, je craque les doigts de ma main droite, j’ajuste mon gant. Je débute la mélodie, elle me rejoint immédiatement. Un quatre mains simple pour une jeune femme ivre et un jeune homme fatigué. Et encore, je parviens à foirer quelques accords simples. Mais ma main gauche n’est jamais vraiment parvenue à les jouer. « Vous m’excuserez, si j’entache la mélodie. »
Je crois que la fatigue a raison de ma bonne volonté. Ma main ne suit plus, et cet air n'est pas fait pour trois mains. Je cesse de jouer, sans prévenir. « Allez-y, poursuivez » dis-je avec un léger sourire. Même si j'ai une sainte horreur d'être incapable de jouer. Je la laisse improviser, faire ce que bon lui semble. Je me contente d'observer, je dois avoir des étoiles dans les yeux. Je suis incapable de quitter ses mains du regard, tant et si bien que j'avais oublié de noter que la belle... est belle. « Puis-je me permettre de...? » J'ai enfin levé les yeux, je croise son regard; je comprend enfin ce que veux dire "ouvrir les yeux". Je bafouille. Je crois qu'il vaut mieux que je fixe ses mains. Je baisse le regard. « Vous jouez divinement. »
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Sujet: Re: try to set the night on fire ◮ gabriel&eve Lun 2 Jan - 0:45
because the night belongs to lovers
because the night belongs to us
Eve oublia de le détailler, éméchée qu'elle était. Elle le regarda simplement, ravie de son effet, s'installer à ses côtés, positionner ses mains et entamer une mélodie bien connue. En revanche, elle fixa ses doigts, d'un regard expert et inquisiteur, curieuse de ce gant de cuir qui masquait sa main gauche. Il était habile, connaisseur. La mélodie résonnait sans heurts, simple et bienheureuse, sous ses doigts agiles. Elle s'empressa de le rejoindre, s'accordant aisément à la basse. Elle ne s'était pas trompée, à la vue de ses doigts - ceux qui n'étaient pas cachés de ce gant singulier - souples et fins ; il savait jouer. Son oreille entendait la moindre note retardée, la plus petite erreur sur cet air populaire. Et pourtant, elle se surprenait à apprécier le toucher fin et connaisseur qu'il avait. Leurs vingt doigts se frôlaient sans jamais se toucher, entamaient une valse endiablée, un menuet pudique et profond. Evpraksiya en oubliait de suivre la mélodie et improvisait, heureuse, éméchée, complètement immergée dans la musique. Elle remarqua tout juste la main gauche défaillante du jeune homme, et continua sa danse folle, délicieusement alcoolisée, savourant cette présence virile à laquelle, finalement, son esprit éméché n'accordait qu'un faible intérêt. Pourtant, elle était ravie d'avoir un public plus spontané, étonnant et inattendu. « Vous m'excuserez, si j'entache la mélodie. » Non, pensait-elle. Elle était plongée dans une telle extase, due à la fois à la musique et à la boisson, qu'elle ne tolérait aucun arrêt, aucune vulgaire interruption dans ce morceau enjoué, à l'aune de son humeur brumeuse. Pourtant.
Il cessa.
Sans prévenir. Eve leva les yeux rapidement, répugnant à quitter du regard son véritable amant d'ivoire et d'ébène, et répondit à son léger sourire par une moue insatisfaite. « Allez-y, poursuivez. » Un peu, qu'elle poursuivra. Libérée de la mélodie, elle entame à nouveau une improvisation légère, joueuse, avec des regards - qui se voulaient discrets - au jeune inconnu de plus en plus fréquents. Elle connaît l'instrument, nul besoin de suivre attentivement ses doigts agiles, usés à l'ouvrage. Lui aussi, l'observe. Alors, alcoolisée comme elle est, elle se dit être une bien singulière personne. Ici, dans ce lieu clandestin, jouant un air vaporeux pour un jeune homme dont elle ne savait ni même le nom. Ah. Et travestie. Elle ignorait s'il avait découvert son sexe véritable, mais dans cet état d'ébriété, peu lui importait. « Puis-je me permettre de... ? » Sans s'interrompre, laissant la musique s'ajuster à la surprise qui l'agitait, elle fixa son regard sur son visage d'éphèbe. Elle ne l'avait pas remarqué - à la fois soûle et ailleurs - mais il avait des traits fins, agréables et délicats. Une mâchoire carrée, un visage bien proportionné, une peau d'albâtre, des lèvres charnues et hésitantes, des cheveux d'ébène, brillants et lissés contre un front noble et volontaire, un regard tout aussi sombre. Enhardie par l'alcool comme elle l'était, elle afficha un sourire imperceptible, mutin et délicieux, et laissa pas ses yeux divaguer ailleurs. Ce qu'elle y voyait était suffisant pour ses prunelles avides et gourmandes ; elle se régalait. Elle ne rougit pas le moins du monde - toute imbibée de whisky et déjà rosie par celui-ci - de son comportement indigne d'une femme du monde en société. Qu'importe. Foutaises. Elle était aujourd'hui Diane chasseresse, maîtresse de sa personne. Et complètement soûle.
« Vous jouez divinement. » Et il possédait un accent anglais prononcé, des plus étonnants dans un tel lieu. Son sourire s'accentua. Elle retourna à ses mains, qui n'avaient cessé leur gymnastique rituelle, savourant la douceur d'un tel compliment. Qui n'était pas rare, il est vrai. Son habileté suscitait toujours les plus vives exclamations, les jalousies les plus sombres. Mais elle évitait en général d'y prêter attention, afin de ne pas s'éloigner de son objectif, de sa quasi-humilité. Ainsi, cette phrase, pourtant si sincère, ne la toucha pas. Elle y était trop habituée pour réellement l'apprécier, même quand - et elle l'ignorait - il venait d'un tel mélomane. Elle s'arrêta de jouer à son tour et se tourna vers l'homme. Ça n'était plus son visage, chose si abstraite et futile, qui l'intéressait, mais ses mains. Elle pouvait observer à loisir sa droite, adéquate sous tous les égards à un pratique approfondie du piano. En revanche, détail qui l'avait choquée lorsqu'il l'avait rejoint au clavier, ce gant de cuir à sa main gauche gênait horriblement. La musique comme son âme curieuse. Sans le remercier pour son mot gentil, elle l'apostropha doucement, presque songeuse. « Vous devriez ôter ce gant... » Elle joignit le geste à la parole. Délicatement, impudente, elle tira sur le gant en tenant fermement le poignet du jeune homme. Voilà. Elle y était. Elle ne manifesta aucune surprise apparente devant ce bout de chair calciné, encore tout à fait mobile mais démuni de toutes ses capacités, devant ces cicatrices encore blanches, roses ou grisâtres. Elle était trop éméchée pour s'offusquer, trop différentes des riches héritières pour réagir. Elle se contenta de prendre cette main dans sa main droite et de la poser doucement sur le clavier. Le gant gisait à terre. « N'utilisez pas votre main droite. » Elle entama de sa propre main gauche la basse d'un morceau reconnu de Chopin, et par conséquent beaucoup plus dramatique. Lent, aussi. Choix volontaire. De sa main droite, elle recouvrit celle blessée de son compagnon, et l'entraîna à la suite de la mélodie, grise et nostalgique. Elle soulevait ses doigts, l'incitait à prendre son exemple, utilisait sa propre main comme un support. Le résultat était étonnant, le tableau qu'ils formaient surprenant, improbable. Cette main gauche s'animait, revenait à la vie sous leurs yeux, sous les directives de celle immaculée d'Evpraksiya. Elle releva la tête avec un sourire satisfait et lâcha finalement sa main, soudain gênée et dégrisée, consciente de son geste osé. « Voyez balbutia-t-elle, votre main ne doit devenir un handicap, mais votre signature, Monsieur... » Elle se leva, légèrement confuse de cet instant spontané et intimiste, et se dirigea vers le bar. « Un whisky ? »
E. Gabriel Johnson
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Sujet: Re: try to set the night on fire ◮ gabriel&eve Lun 2 Jan - 14:35
J’ai cessé de caresser les touches d’ivoire depuis quelques secondes. Elles me manquent déjà. Et c’est non sans une pointe de jalousie que j’observe les doigts de la jeune femme courir sur cet instrument que je considère comme mien. C’est de cette même manière que mon regard glisse sur le toucher méticuleux et expert du pianiste d’habitude assis à cette place, employé et ami ; cette même flamme admirative entachée du désir d’être un jour aussi maître de mes propres mains. Mais je suis déjà bienheureux de pouvoir jouer aussi bien que j’y parviens malgré un certain handicap loin d’être négligeable. Et qui m’empêchera, je pense à jamais, de vivre de l’amour que je porte à cet être d’ébène et d’ivoire. Je ne puis empêcher mes yeux de briller tandis qu’ils suivent avec minutie le parcours des mains de la demoiselle sur le clavier. Elle donne la parfaite illusion de ne faire que l’effleurer ; le piano chante sous sa caresse, elle dompte l’instrument, comme reconnaissant de la tendresse mêlée de sensualité qu’elle confère à chacun de ses gestes. Mon cœur se froisse lorsqu’elle cesse finalement.
Nos regards se croisent furtivement. Je la devine saoule mais néanmoins présente. Je vois à travers son expression que les vapeurs d’alcool étourdissant son esprit se dissipent quelque peu à travers la musique. Et désormais qu’elle a cessé de jouer, j’ai peur de perdre ce que sa compagnie avait d’agréable. Je crois que je ne supporterai pas la déception que cela me causerai si je découvrais que tout ce talent se niche entre les mains d’une alcoolique s’étant réfugiée sur ce tabouret uniquement parce que ses jambes ne soutenaient plus son ébriété. Mais ses prunelles m’ont vite quitté pour se poser sur mes mains. Déjà mon réflexe de mettre ma gauche hors de portée me la fait reculer. « Vous devriez ôter ce gant... » Mon geste de recul se prononce d’autant plus. « Sûrement pas. » La belle détient déjà ma main gantée entre ses doigts délicats. L’idée même qu’elle exécute ses paroles me tétanise. J’ose à peine murmurer un nouveau refus. Mon regard fuis vers les traits de son visage semi-absent, et tandis que le cuir glisse sur ma paume, je cherche à déceler une réaction qui n’apparait pas. Rien. Aucun dégoût, aucun rejet. Je ne connaissais que ma chère mère que ne pas ciller devant cette vision qui, moi, me répugnait. Ma curiosité naturelle me pousse à jeter un rapide coup d’œil. Je m’en détourne aussitôt. Je ne supporte pas de voir cette masse molle au bout de mon bras. Sa peau trop fine, trop transparente, ni rose, ni grisâtre. L’épiderme cicatrisé ne ressemble à rien de plus qu’à une boule de papier mâché, aussi sèche que celle d’un vieillard. Les doigts sont trop fins, squelettiques, la peau est à une proximité écœurante de l’os. La chair y est pratiquement inexistante, répartie inégalement, créant une silhouette difforme à ces instruments monstrueux. J’aimerais avoir la force mentale pour maîtriser le flux d’émotions qui m’envahit, voyant l’un de mes grands secrets, mais surtout mon unique grande honte, dévoilée aux yeux d’une jeune inconnue. Mais mes yeux brillent et ma gorge se serre. Sa voix, douce, à l’instar des mélodies qu’elle entreprendre à l’instrument qui la sublime, me demande de ne jouer que de cette main atrophiée. Je secoue la tête. « Non, je… » J’en suis capable, d’habitude, Mais cet outil frêle grelotte et trahit une peur incontrôlée. Ridicule. Je dois me reprendre. Je le peux tout à fait.
Je m’efforce de respirer ; la jeune femme pose d’un geste délicat et attentionné mes doigts sur le clavier qui n’avait rien connu d’autre de moi que la froideur du gant en cuir. Ma gorge semble de plus en plus étroite. Je ferme les yeux, entends les premières notes d’un air de Chopin. Mes tympans sont de fervents adorateurs de ce compositeur dont la musique caresse mon cœur entre ses notes mélancoliques. Mes paupières s’ouvrent, mes iris sombres se posent sur l’inconnue. J’ai la déroutante impression que, comme cette musique, comme ce piano, comme tout ce lieu qui m’est si cher, elle est capable de lire en moi. Les notes s’enchainent et j’ose enfin observer nos mains. Je découvre celle de la belle posée sur la mienne sans crainte de toucher cette lèpre. Elle use de mes doigts pour appuyer sur les touches. Je freine une soudaine envie de faire s’échapper mon membre de cette emprise. Je ne crois pas qu’elle se rende compte de la torture qu’elle me fait subir. Bien que celle-ci se devine au rideau brillant troublant ma vision. Je ne sens rien. Ni la chaleur de la peau de la jeune femme, ni la pression qu’elle exerce sur mes doigts, pas même la caresse de mes phalanges sur les touches. Toute sensation est morte. Tout toucher est inexistant. Les yeux fermés, je n’aurai jamais deviné que mes propres doigts participaient à la mélodie. Alors j’observe avec impuissance une caresse qui m’est, et demeurera inconnue. Un tel manque me fend le cœur. Parfois, je meus moi-même la masse molle du bout de mon bras. Je connais cet air par cœur ; je le laisse m’embaumer dans l’espoir qu’il sache me consoler. Parfois, mes dents saisissent ma lèvre inférieure. J’inspire profondément ; je retrouve une vision claire, néanmoins le sourire que l’on me connait si bien ne réapparait pas. Troublé. Non, bouleversé. Je ne sais pas quand est-ce qu’il reviendra.
Ce moment me semble durer si longtemps. Je ressens parfois l’illusion d’une sensation, d’une chaleur, au bout de ces doigts. Je crois pouvoir à nouveau sentir mon poids s’abattre sur la touche blanche. Et deviner la masse de celle-ci. Seulement, ce n’est qu’une illusion.
Peu à peu, je m’apaise. Doucement, mon regard glisse de ma main à celle de la jeune femme, longe son bras et frôle son épaule couverte jusqu’à retrouver son visage ; elle me semble absorbée. J’ai comme l’impression qu’elle ne se souvient déjà pas du fait que je suis là. Jusqu’à ce qu’elle s’arrête. Elle libère ma main qui s’échappe aussitôt. Devrais-je en faire une signature comme elle me le suggère ? Je ne crois pas en ma particularité. Je ne suis qu’un bon pianiste. Je ne serais jamais rien de plus qu’un bon pianiste. Et jamais mieux que « bon », à cause de cette… signature. Je ne réponds pas, trop occupé à retrouver mes esprits après ce moment si particulier. Je laisse la jeune femme se diriger vers le bar ; pour la première fois depuis une dizaine d’années, si pas plus, je ne quitte pas ma main gauche des yeux. Ses doigts longs et bien trop fins. Sa peau trop pâle. Son toucher disparu. Une voix féminine me fait sursauter. « Un Gin… s’il vous plait. » Je ne bois pas de whisky, j’en ai horreur. Même si j’en cache une bouteille dans mon bureau. Je ne bois pratiquement que du Gin. C’est loin d’être classieux, mais ça me passe par-dessus la tête. Cet alcool me rappelle la maison, Londres, d’où il est originaire. Tout ce qui peut me rapprocher de l’Angleterre est bon a prendre.
Mes esprits retrouvés, je ramasse le gant à terre. Machinalement, je commence à l’enfiler. Avant d’être tenté de le laisser de côté, pour une fois. Pourquoi pas. Doucement, je le pose au dessus du piano. Mon second réflexe consistant à allumer une cigarette, je sors le paquet de Lucky Strike de ma poche, et porte l’une des barres de tabac à mes lèvres. Le bout se noircit au contact de la flamme du briquet. Je le ferme d’un geste sec. « Cigarette ? » Je n’ai pas l’habitude de proposer une cigarette à qui que ce soit en général. Parce que cette marque est bon marché, et qu’un « homme comme moi » ne devrait fumer que des cigares, ou n’importe quoi coûtant le triple de ma marque favorite. Je garde donc toujours mes Lucky Strike pour moi. Mais je suis visiblement d’humeur à faire des exceptions. La première bouffée de tabac suffit à me détendre. J’expire la fumée en un flux régulier, j’en admire les arabesques et leur danse aérienne. Je remarque le silence qui s’est installé ; les employés étaient partis, je ne saurai dire depuis quand. Mon regard glissant sur l’ensemble de la pièce, de ses chaises vides au comptoir du bar en passant par les bêtes empaillées accrochées aux murs. Je retrouve la silhouette de mon inconnue avec qui j’étais désormais en tête à tête. Elle me fascine, je l’avoue.
« Vous êtes venue en homme. » dis-je non pas comme une question, mais bien comme une affirmation. Je l’avais vue, nier ne servirait à rien. « Est-ce que vous venez souvent ici ? » Elle ne semblait pas me connaitre. Ou me reconnaitre. Ou alors ne l’avait-elle pas montré, avait-elle oublié. Les habitués me connaissent tous, m’appellent par mon prénom, ou par un surnom. Mais cette femme n’en usait pas. Peut-être la connais-je, en tant qu’homme. Nous pourrions avoir déjà discuté autour d’un verre, mais ce ne serait qu’aujourd’hui que je découvre sa véritable identité. Quoi que, cela n’était pas tout à fait juste. Son nom, je ne le connaissais pas. Et je ne le lui demandais pas. Je ne saurai dire qui elle est, d’où elle vient ainsi. Cela fait partie du délicieux mystère entourant la belle, et que je désirais conserver.
C. Evpraksiya-Honor Kniaz
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Sujet: Re: try to set the night on fire ◮ gabriel&eve Dim 8 Jan - 1:19
love me two times, i'm goin' away
love me one time, i could not speak
Ç'avait été une expérience étonnante, insolite, presque taboue. Elle frissonnait encore à la pensée de cette main blanchâtre, inanimée, à qui elle avait tenté de donner la vie. Sans grand succès, elle devait l'avouer. Elle avait sentit la répugnance du jeune homme, son regard anxieux, mais avait continué. Était-ce l'alcool ? Ou était-ce plutôt son caractère libéral ? Elle devait avouer qu'elle avait apprécié cet instant, dont la douleur sublimait la romantique mélancolie de Chopin. C'était une expérimentation unique, de jouer de cette façon, et par bien des façons passionnantes. « Un Gin… s’il vous plait. » Il avait une voix presque tremblante, clairement Troublée, aussi bien par l'acte lui-même que par les pensées sinistres qui en découlaient, elle se servit dans le bar fourni san s un mot, faisant cliqueter les deux bouteilles. Un whisky, encore frais, sans glaçons. Et un gin. Elle n'avait aucune idée de la façon dont il convenait de servir ce genre de boisson, elle n'était même pas sûre d'avoir choisi la bonne bouteille parmi les dizaines entassées au fond du meuble. Le whisky était son seul ami, compagnon de ses soirées solitaires, professeur inspirant aux heures de création. C'était ce goût sec, brûlant, à la fois fruité, boisé ou incendiaire qui comblait les nombreux vides de sa vie. Rien à voir avec ce bourbon, qu'elle méprisait. Elle devenait connaisseuse, chaque nouveau verre apportant à ses papilles un nouveau détail. Et Dieu seul savait à quel point ces verres là étaient nombreux. Elle fit cliqueter les deux verres cylindriques, posant les liquides ambrés sur le bois laqué du piano. Elle esquissa un sourire ; il n'avait pas remis son gant, qui était laissé en évidence à côté des boissons. Ainsi, son intervention spontanée, à chaud, avait eu l'effet positif escompté. Elle le voyait observer sa main, un air sur le visage qu'elle ne saurait réellement qualifier de dégoût ou de froide curiosité. Il la fixait, tel un objet neutre sans intérêt véritable, à examiner, à analyser. Eve, elle, était trop éméchée pour accorder la moindre importance scientifique à cette main atrophiée, seul comptait le nouveau regard que l'inconnu lui portait après avoir joué. Car, que lui importait de faire le Bien ? Seul son piano prenait un sens, son piano, leurs quatre mains, dont sa gauche. Ceci, en revanche, se traduisait chez elle par un intérêt notoire, presque chercheur. Elle essayait, testait chaque possibilité musicale qui réveillerait, avec l'aide puissante de l'alcool, cet air méconnu de la perfection. Ce but utopique que son esprit étriqué rêvait d'atteindre, qui l'obsédait jour et nuit, qui seul comptait. Certains vivaient pour la gloire ; elle ne respirait que pour parvenir un jour à cette extase musicale. Et elle ne pensait même pas partager ; personne ne pourrait comprendre. C'était tellement abstrait, personnel, presque païen, qu'il en aurait été ridicule et pour elle et pour ce rêve d'en parler. Quand elle y arriverait, apaisée par cette vie de recherche de plénitude, essoufflée, ce seraient eux qui viendraient à ses pieds. Bien que cela ne fut pas ce qu'elle cherchait. « Cigarette ? » Mais, décidément, elle appréciait de plus en plus ce jeune homme.
Elle acquiesça et jaugea le tabac d'un œil connaisseur ; rien ne valait les Lucky Strike. Décidément, en effet. Elle savoura le silence, mélodie toute aussi belle que le plus complexe des récitals, et sa cigarette. Elle tirait, lentement, appréciait l'âcre et épaisse fumée qui venait caresser le fond de sa gorge, et soufflait d'un air nonchalant étudié, buvant de temps à autre une gorgée de ce whisky, énième de la soirée. Elle commençait à douter de sa situation. Elle était incapable de se souvenir du nom du lieu, même si l'endroit lui semblait familier, et le départ des serveurs n'aidait en rien. La tête commençait à lui tourner. Mais elle n'en tint pas compte. L'habitude, sûrement. Elle n'éprouvait pas le besoin de combler ce silence, peu sociable de nature et déjà trop soûle pour trouver quelque chose à dire. « Vous êtes venue en homme. » Elle sa braqua soudainement. Son aversion pour le costume féminin et la condition des femmes de leur époque était encore une fois un sujet trop complexe et personnel pour l'évoquer maintenant. Il ne s'agissait pas que de ça. Élevée comme un homme, à cheval entre les principes d'un riche héritier et ceux d'une fille libre des chaînes de son époque, il n'y avait que dans ce pantalon qu'elle parvenait à y voir clair. On l'avait dès le départ destinée à une vie sans pareille, seule fille aînée capable de diriger l'empire industriel de son paternel. Et elle apprenait soudainement qu'on la mariait à un inconnu depuis sa naissance, qu'on effaçait des années profondément ancrées dans son esprit inédit par appât du gain, de la reconnaissance de ce milieu de vipère. Par pur esprit de contradiction, forte de son pouvoir acquis par une éducation plus libérale, elle avait calmement décliné. Mais elle bouillait, en vérité, de cette injustice. Elle n'avait jamais songé au mariage, ou même à l'aventure. Femme, elle était courtisée. Homme, les femmes lui envoyaient des baisers. Et c'était mieux ainsi. Comment remettre en question une vie de principes plus libres ? Comment se marier avec cet homme dont personne n'avait voulu lui dire le nom ? Alors, pour souligner ce non virulent, elle ne restait qu'homme. Mais elle savait, qu'au fond, si elle ne voulait rien changer à sa situation de luxe, et ne pouvant refuser quoique ce soit à son père qu'elle chérissait plus que tout, elle serait forcée d'accepter. Ou quoi ? Devrait-elle s'exiler en Californie ? À Chicago ? Seule, avec un petit pécule qui vite s'épuiserait, dans l'incapacité de pratiquer son seul amour, la musique ? Elle y préférait encore le mariage, même Ô combien répugnant. Et elle ne voulait même pas penser à ce qu'une union impliquait. Elle sentir le jeune brun enchaîner, et ne prit pas la peine de répondre. Ça n'était pas une question, quoiqu'il en soit.
« Est-ce que vous venez souvent ici ? » Elle but une gorgée de whisky et se leva brusquement. Un sourire cynique aux lèvres, elle mima une petite révérence tout en mettant à l'oeuvre son sarcasme et la boisson : « Je ne suis peut-être qu'un pauvre homme avec une virilité contrariée. » Elle avait un ton presque boudeur, adorablement buté et mutin. Quant à sa seconde question, elle lui rappelait presque les banalités mondaines, elle n'y voyait aucun but artistique ou intéressant comme le fut le début de cette rencontre. Elle prit le temps de se rassoir, un sourire mutin imperceptible aux lèvres, et de vider son verre. Cul sec. Sa cigarette était terminée également, consumée jusqu'au filtre dans un cendrier posé sur le piano. « Et ce triste sire profite de sa condition de sexe dominant chaque nuit dans ce bar, très cher. » Elle marqua une pause, consternée par le peu d'intérêt de sa réponse. Elle se sentit le besoin de boire à nouveau, véritable drogue à qui elle offrait sur un plateau sa dépendance. Son verre était tristement vide, il brillait sournoisement au coin de son œil. Celui de l'inconnu, en revanche, conservait une jolie couleur ambrée qui satisfaisait plus sa soif insatiable. « Permettez que je goûte ce gin ? » Elle n'attendit pas sa réponse et attrapa son verre, savourant lentement une petite gorgée. C'était rustre, comme alcool. Bien moins relevé que le whisky, mais tout à fait honorable. Elle lui rendit son verre, satisfaite de cette nouvelle expérience. Mais en attrapant sa main gauche au passage. Elle la tenait fermement entre ses doigts fins, si féminins, et en caressait machinalement la peau brûlée. Elle leva les yeux vers lui, croisant volontairement son regard, et lui sourit. Un sourire sincère, cette fois, qu'elle ne forçait pas, à la vue de ces traits fins, anguleux, ravissants. Sans le lâcher, elle releva sa manche, retroussant le satin de sa chemise, et lui indiqua une légère cicatrice sur son avant-bras, rougie. « Voyez, j'ai aussi mes stigmates. Comment ceci vous est-il arrivé ? » Elle ne pouvait être, à cet instant, plus féminine et indiscrète, alors que la peau douce et immaculée de son bras brillait de tout l'éclat de sa jeunesse, qu'une douceur inconnue la traversait, entre ses doigts serrés contre ceux du jeune homme. Oh, oui, elle était femme. Sans doute aucun.
Dernière édition par C. Evpraksiya-Honor Kniaz le Ven 19 Avr - 21:30, édité 1 fois
E. Gabriel Johnson
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Sujet: Re: try to set the night on fire ◮ gabriel&eve Dim 8 Jan - 17:46
Ma belle inconnue attise ma curiosité. Depuis qu’elle est revenue vers moi, nos deux verres à la main, mon regard ne la quitte plus. L’on dit qu’il est fortement impoli de dévisager les gens comme je le fais à cet instant, mais comme beaucoup d’actions que mes supposés semblables trouvent incorrectes, je m’y adonne tout de même. Après tout, que fais-je de si mal ? Je ne fais qu’user de mes yeux, posés sur les traits harmonieux de son visage féminin à l’expression évasive, tentant par mes simples moyens mortels de voir au-delà de cette simple silhouette qui se tient près de moi. Oui, je cherche à la décrypter, je ne sais pourquoi cela me tient à cœur. Il me semble que, depuis la surprise d’avoir découvert que le pianiste assis ici se déterminait au féminin, depuis que mes yeux avaient été trahis par la crédulité que j’avais à me fier aux simples apparences, s’est créée une faille dans ma fierté que je me dois de combler par des réponses. Elle m’intrigue, la demoiselle, crée de multiples questions dans mon esprit auxquelles je refuse de donner corps. Je me suis mis à l’épreuve d’en apprendre plus en fiant uniquement à mes sensations. Je la devine d’une classe aisée ; à ses cheveux et son teint sains et impeccables, sa diction et son lexique loin d’appartenir à la même catégorie que celle des populations moyennes, et cette grâce subtile qu’elle confère à chacun de ses gestes et dont elle ne doit même plus faire attention tant l’habitude est encrée. Comme lorsqu’elle relève légèrement ses manches, pli à pli, avant de poser ses mains sur l’instrument de cette manière dite « correcte » de faire les choses les plus banales en société. Sa maîtrise du piano ne pouvait que confirmer mon hypothèse, sa technicité faisant la fierté de nombreuses années de pratique dont toutes les petites filles sont soumises dès le plus jeune âge dans ces sphères. Quoi qu’elle soit dotée d’un véritable don pour faire chanter des harmoniques à des airs déjà reconnus comme des beautés mélodieuses. Mais malgré toutes mes déductions, certains points demeuraient flous. Je n’y attachais pas plus d’importance que ça, ce n’était que la recherche d’une distraction pour mon esprit encombré qui me poussait à penser à ces choses, à réfléchir au mystère de l’identité de la belle. Car des inconnues j’en croise chaque jour, les rues et les boulevards de New-York en sont pleins, et parfois ces demoiselles sont de véritables chefs d’œuvres, bien plus que ne l’es celle à qui j’ai affaire. Elles sont néanmoins bien trop conscientes de leurs charmes, et l’usage qu’elles en font à tort et à travers les effacent paradoxalement. Il me semble qu’un décolleté ne m’apparait jamais aussi invisible que lorsqu’il est agité sous mon nez. J’aime en cette jeune femme ce que sa présence a de mystique, de chimérique. J’aurai pu croire à un mirage jusqu’à l’instant où elle s’était emparée de ma main. Elle possède une présence douce mais prononcée. Elle me rappelle étrangement les sensations du miel ; son apparence fluide et généreuse à la couleur ambrée et brillante, sa texture enrobant les papilles et créant un délicieux paradoxe entre sa volupté et son intensité. Mais je crains qu’il n’y ait que moi pour effectuer une telle comparaison. Moi, mon esprit trop rêveur et mes idéalisations momentanées.
Je remarque aisément que la jeune femme se braque lorsque j’affirme savoir qu’elle s’était faite passée pour un homme toute la soirée, et toute la nuit. Et je me surprends à penser qu’il serait bien dommage pour la gente masculine que la demoiselle agisse de la sorte afin d’assumer une attirance pour le beau sexe qui est aussi le sien –sauf une fois dans ce déguisement. Un léger sourire anime le coin de mes lèvres, d’une sorte de fierté d’avoir fait réagir l’inconnue, et d’amusement face à sa révérence et la réponse qu’elle me fournit. Elle n’est pas crédible pour trois sous en tant qu’homme maintenant que son couvre-chef ne domine plus son visage. Celui-ci se trouve non loin du piano. Je me demande si de nombreuses personnes se laissent berner par les apparences comme je l’avais été, pris au piège par leurs propres préjugés et qui constituaient la faille par laquelle la belle se glissait dans ce que je devinais être une quête d’affirmation, de recherche d’un respect dont les femmes ne bénéficient que trop peu. Je vois désormais mon interlocutrice comme le strict opposé de la Nora de Ibsen, la sotte protagoniste victime d’une éducation quasi-canine et ayant fait d’elle la pauvre prisonnière d’une image de poupée de porcelaine. Son unique rôle se réduisant à celui de sculpture dans l’Atrium de sa luxueuse maison. Nora, dans le dernier acte de la pièce, prend conscience du caractère intolérable de sa condition et s’enfuit vers les pays qui lui sont inconnus afin de découvrir quelle est sa véritable place dans ce monde. Cette jeune femme à laquelle j’ai affaire n’a rien à voir avec cette timide émancipation ; elle semblait se forcer une place dans la société à l’aide du subterfuge que constitue ce chapeau et ce pantalon, une bataille livrée chaque soir à l’insu de la totalité du monde l’entourant.
L’admiration pour ma belle inconnue est née.
Le bout de mes lèvres entre en contact avec le verre. Le fond de ma gorge est brûlé par l’alcool qui s’y écoule. Je me revois dans le domaine familial, à Londres. Dans le grand salon plongé dans l’obscurité, seul le feu crépitant dans la cheminée éclaire la pièce et lui confère une atmosphère douce et chaleureuse comme l’on aime en vivre les soirs d’hiver. Assis dans le sofa, détendu et serein, ce verre de Gin à la main qui se vide peu à peu, la cigarette fumante dans le cendrier de la table basse et, assise près de moi, la tête sur mon épaule, la respiration paisible et profonde traduisant une longue journée effectuée avec courage, ma tendre mère endormie. Ces instants me manquent terriblement. Mais, à chaque gorgée de cet alcool, ces souvenirs me hantent, et mon bras passe par-dessus les épaules de Mère afin de l’étreindre et retrouver l’illusion de sa chaleur maternelle et aimante.
Je me tire de ma torpeur, tandis que la demoiselle reprend place près de moi, sur le banc face au piano. Nos cigarettes s’éteignent dans le cimetière du cendrier. « Même un homme avec une virilité contrariée n’aurait pas des traits aussi suaves. » fais-je avec ce léger sourire qui m’est propre. De nombreux hommes useraient de tels mots dans l’unique but de captiver leur proie, usant de leur mélodie comme de la musique d’un charmeur de serpents. Mais leur ton est méprisant, ils sifflent entre leurs lèvres des paroles sans âme, ils brisent des cœurs avec la même facilité que l’on a pour briser une allumette. Il serait hypocrite de ma part que de dire que je n’ai jamais usé de ces mêmes méthodes, mais j’ai néanmoins le souci de rester aussi sincère que je le suis toujours. Autant que je le suis à cet instant, introduisant une flatterie qui me semble justifiée et juste, comme cela est convenu dans mon éducation britannique et qui fait l’objet de tant de reproches car perçue comme trompeuse et artificieuse. J’espérais donc que des intentions d’abuser de l’ébriété de la demoiselle ne me soient pas accolées par méprise. Quoi que si tel était le cas, et comme pour tant d’autres choses, je ne m’en préoccuperais pas. Être moi-même certain de ma propre sincérité me suffit amplement. « Je m’admets pas d’autre dominante que mon autorité dans ce bar ; aucun sexe ne prévaut ici. » J’explique, avec tout le sérieux qui m’est conféré. Je considère en ces lieux que tous les clients et employés se trouvent sur un même bateau à la coque percée. Au moindre faux mouvement, au mot soufflé un peu trop fort, à la moindre traitrise, le bâtiment coule, et nous tous avec lui. Les uns perdraient un emploi bien précieux, les autres un lieu d’évasion de qualité. Ceux qui se réunissent dans l’illégalité ne sont plus des hommes ou des femmes dans ce cas, cette distinction n’a plus lieu d’être. Nous sommes tous des clandestins, et nos intérêts nous réunissent au-delà des différences de sexe, de sexualité et de couleur de peau. Que l’on me reproche mon idéalisme ; je m’évertue tout de même à faire de mon établissement un pays de tolérance aveugle. Il est écrit au-dessus de la porte « Interdiction de fumer de l'opium. Pas de trafic de cocaïne. » Mais la plupart savent qu’une règle d’or supplémentaire est à suivre afin de garder sa place au chaud dans ce bar. Je raccompagne personnellement hors de ces lieux ces personnes à qui la clandestinité fait pousser des ailes. « Venez en affirmant votre féminité, un soir. Vous pourrez apprécier la véracité de mes paroles. » Dis-je en absorbant une nouvelle gorgée de Gin. « Ou tout du moins, je veillerais à ce que ce soit le cas »
Le verre m’échappe des mains, je ne m’étonne pas vraiment de voir la jeune femme s’en emparer afin de goûter cet alcool dont peu de personnes sont aussi adeptes que je le suis. J’étais curieux de savoir ce qu’elle en pensait ; ce goût est plus rustre, bien moins fin et délicat, c’est une boisson forte, chaude, au caractère acerbe et néanmoins rond. « C’est bien moins noble que le whisky, je le crains. » dis-je tout de même en haussant les épaules. Quoi qu’à mes yeux, tout est meilleur que le whisky. Je prends néanmoins, parfois, un plaisir des plus malins à effectuer ce sacrilège impardonnable aux yeux des connaisseurs, consistant à mélanger les bourbons les plus coûteux à de vulgaires sodas. Voir l’indignation, la répugnance la plus totale dans leur regard est l’une des choses les plus délectables que je connaisse. Et l’une des seules manières de ce faire boire cet alcool. Un jour, je le sais, je me mettrais à dos un homme des plus redoutables en agissant ainsi. Mais j’aime bien trop exercer mes provocations vis-à-vis de cette haute société pour cesser d’arborer cette attitude de défi. Notre rébellion face aux regards limités, aveugles en réalité de notre environnement constitue, à mes yeux, un élément nous rapprochant, mon inconnue et moi. A vrai dire, depuis cette étrange expérience qu’elle m’a fait vivre, je me surprends à avoir une confiance aveugle en elle. Cette demoiselle éméchée, originale et impudente. Je ne cille pas lorsqu’elle saisit à nouveau ma main gauche, dégantée, entre ses doigts fins. Au contraire, je me complais dans l’observation de son visage lorsque son regard se pose dessus. Car je n’y perçois rien d’anormal. Alors je comprends soudainement le besoin vital qu’avait la créature de Frankenstein de se trouver une semblable ; un regard qui se poserait sur lui sans qu’il n’ait à lire de la crainte, de la peur, du dégoût. Une créature comme lui qui verrait en son existence la normalité même. Quelqu’un face qui il pourrait être lui-même. Je ne saurais dire si c’est cela qui m’arrive, alors que la belle relève sa manche satinée, découvrant ainsi sa propre cicatrice. Après quelques secondes à observer sa peau légèrement marquée, je me contente de répondre ; « Une maladresse qui m’a coûté cher. J’étais enfant. Une casserole d’eau bouillante s’est renversée sur moi. » Version dite officielle qui m’évite de passer pour un chétif petit être sans cervelle et désespérément à la recherche d’affection, et qui m’épargne la mise à jour de mes failles, et autres cicatrices intérieures. Néanmoins, j’ai cette étrange confiance en cette femme et cette impression qu’en plus de ma main, ce sont des chapitres entiers de mon être qui trouvent refuge entre ses doigts délicats. Féminins à souhait, comme l’était son regard émeraude. Je hausse les épaules et ajoute finalement ; « Enfin, je tentais d’évaluer l’indifférence de mon père à mon égard avant tout. » Une manière d’en dire peu, tout en expliquant absolument tout. Mais je comptais sur ivresse de la jeune femme pour rendre cette phrase plus complexe à traduire qu’elle ne l’était. Levant mes prunelles sombres, je lui adresse un léger sourire. « A vôtre tour. » dis-je en désignant d’un signe de tête la blessure de la belle. « A moins que vous ne préfériez m’expliquer ce que fait une jeune femme telle que vous, seule, dans ce bar. Ce qui pousse une demoiselle de la haute société à préférer le vieil instrument usé d’un établissement clandestin au piano d’exquise qualité qu’elle possède certainement chez elle. » Ma main atrophiée glisse de l’étreinte de l’inconnue. J’allume une nouvelle cigarette en attendant sa réponse. Je ne pense pas qu’elle blâmera ma curiosité impudente, mon indiscrétion maline.
C. Evpraksiya-Honor Kniaz
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Sujet: Re: try to set the night on fire ◮ gabriel&eve Mer 18 Jan - 22:05
quelque chose en toi ne tourne pas rond
et j'aime encore mieux ça, oh oui je préfère ça
« Même un homme avec une virilité contrariée n’aurait pas des traits aussi suaves. » Eve sourit pour un remerciement, flattée malgré son esprit clairement misandre. Éméchée comme elle l'était, il lui apparaît un caractère ouvert et enjoué qu'elle ne se connaît pas. Et ce compliment, peut-être mal intentionné de la part de cet individu qu'elle au fond ne connaissait pas, la ravissait. Elle le sentait sincère, ne serait-ce qu'un peu, et elle appréciait qu'il joue le jeu de son costume. Elle l'avait probablement surpris en dévoilant ainsi son véritable visage, et il était désormais évident qu'il avait du reconnaître à son pantalon des traits féminins. Mais c'était encore là qu'elle se sentait le mieux. On lui ouvrait la porte, les poivrots lui adressaient un regard de crainte mêlée de respect, on ne venait pas pincer d'une main baladeuse ses fesses mises en valeur par un tissus moulant et brillant. Elle en frémissait d'horreur, tant elle détestait cela dans ces lieux de perdition, où l'alcool permettait les pires folies. C'était peut-être le seul point positif de la Prohibition, la condition des femmes. Pour rien au monde elle ne passerait la nuit dans un de ces bars dans la tenue que son sexe exigeait, cela lui coûterait trop, et elle estimait avoir déjà bien de la chance d'avoir été élevée dans cette optique. Son père se contentait d'un léger regard de réprimande en la voyant poser un chapeau sur ses cheveux noués, accompagné d'un soupir de regret. Ah, comme il aurait aimé qu'elle soit plus féminine. Mais au fond, Evpraksiya savait qu'il l'admirait, pour son talent et la fierté qu'elle lui apportait dans son éducation. Elle pouvait affirmer aimer plus que tout cet homme bipolaire, si doux et autoritaire à la fois. Son foyer était l'un des rares endroits chaleureux où elle se permettait l'ivresse d'une tenue de femme, le bras blanc de sa sœur contre le sien. Mais ici, il n'en était pas question. « Je m’admets pas d’autre dominante que mon autorité dans ce bar ; aucun sexe ne prévaut ici. Venez en affirmant votre féminité, un soir. Vous pourrez apprécier la véracité de mes paroles. Ou tout du moins, je veillerais à ce que ce soit le cas. » Elle éclata d'un rire franc et contagieux en voyant leurs pensées suivre le même cours, un rire cristallin libéré par les verres. Elle s'imagina un instant ici, devant ce piano, avec ce jeune inconnu, sublimée par une robe d'un doré discret, un diamant unique parant sa gorge, et ne pouvait s'empêcher de se sentir nue et vulnérable face à ces mains sûrement expertes et trop proches. Non, décidément, non. Elle était en sécurité et parfaitement à l'aise ainsi. Elle abhorrait la simple idée. Elle lui répondit d'un ton moqueur, peu convaincu, une moue boudeuse sur son visage illuminé par l'alcool. « Très cher, il me semble que votre utopie dépasse notre bien triste réalité. Les femmes, ici comme ailleurs, resteront un objet de divertissement aux jolies courbes et aux robes affriolantes que l'on s'amuse à combattre jusqu'à la peau. J'y préfère mille fois ce pantalon, n'y voyez là aucune offense aux charmes de votre sexe et à votre autorité. » Satisfaite de sa réponse, elle replongea le nez dans son verre tristement vide. Machinalement, puisque sa principale distraction ne lui était plus accessible, elle songea à ses paroles. Son autorité. Malgré son état, le lien se fit dans son esprit brumeux. Ainsi , elle parlait avec le propriétaire de ce lieu qui chaque soir sauvait son addiction aux liqueurs. Surprenant. Il semblait étonnamment jeune, et, se surprenant à l'observer pour la première fois de la soirée, bien trop distingué et aristocrate pour gérer ce genre d'établissement. Et pourtant, il avait cet air indéniable d'aisance, d'habitude, devant ce piano usé. Pis encore, il l'avait laissée se servir au bar, ce qu'un client n'aurait pu accepter décemment. Intéressant.
Fort heureusement, il buvait avec une modération bien plus prononcée qu'elle, et c'est avec un plaisir non dissimulé qu'elle goûta à ce gin, qu'elle apprenait finalement à apprécier. Sa rudesse en était son principal atout ; il brûlait la gorge, éveillant étrangement l'esprit qui en subissait les vapeurs capiteuses. Bien moins rond, coloré en bouche que le whisky, Eve devait pourtant lui reconnaître un bel aspect populaire et anglais auquel son peu de noblesse n'altérait rien. Expérience à renouveler, donc, quand sa seule et unique boisson se faisait rare. Et surtout quand, fauchée par bien des verres, elle se voyait contrainte de rentrer à pieds, bougonne de n'avoir pu profiter d'un verre de plus. En outre, pensa-t-elle rapidement, il semblait plus étonnant encore que ce jeune interlocuteur boive de ce genre d'alcool, fume des Lucky Strike à la réputation populaire. Décidément, intéressant. « C'est bien moins noble que le whisky, je le crains. » Elle hocha silencieusement la tête. Encore une fois, leurs pensées avaient suivit le même cours, et ces quelques mots confortèrent les idées premières d'Evpraksiya ; il ne semblait rien faire comme le monde. Tout comme elle, et elle se plaisait à l'avouer, il avait cette attitude détachée qui voulait volontairement s'éloigner de ce rang social élevé, tout en profitant de cet argent, doctrine paradoxale mais si pratique à ces jeunes idéaux. C'était un océan de débauche et de luxure, sur un fond de respect et d'équité, solution improbable que ces deux jeunes gens accoudés à un piano, partageant un verre de gin. La situation n'en était que plus cocasse, il fallait l'avouer, soulignée par son costume masculin. Elle n'imaginait pas les ambiguïtés sur sa sexualité que cela pouvait soulever, son esprit élevé dans la droiture ne le concevait même pas. Pourtant, c'était bien en homme qu'elle prenait la main de cet éphèbe entre ses doigts longs, experts et féminins, et qu'elle caressait machinalement cette paumé brûlée. La femme qu'elle était, les désirs bassement humains qu'elle pouvait avoir, n'avaient qu'une prise limitée sur elle, et pas un seul instant elle ne pensa aux traits gracieux du jeune homme comme à ceux d'un possible amant. L'alcool, peut-être, la perfection de leurs doigts unis sur les touches d'ivoire du piano. Ces doigts aussi blancs et purs que brûlés, putréfiés. Son explication, puérile mais si compréhensible, l'attendrit un instant. Mais elle ne s'attarde pas sur ce sentiment si étranger lorsqu'il réouvre la bouche, afin de lui donner difficilement une justification rationnelle, humaine. « Enfin, je tentais d’évaluer l’indifférence de mon père à mon égard avant tout. » Ce disant, il avait une voix d'auto-dérision volontairement, légèrement basse et triste. Les mots étaient soigneusement choisis, et malgré son état, Eve s'en aperçu.
Il était étrange pour elle de concevoir ce genre d'idées, d'un père indifférent. Ayant grandit sans mère, élevée par lui dans cet univers entièrement masculin, elle savait que son père lui portait un amour débordant, et réciproque. Personne n'avait en son cœur la place de cet homme, de ce battant qui lui avait offert une vie différente, bien plus riche - de ce point de vue artistique et immatériel. Pour rien au monde elle ne remettrait en doute cette affection. Non, rien au monde. Alors elle peinait à imaginer ce petit garçon devant sa casserole d'eau bouillante, les dents serrées, prêts à tous pour avoir un père. Elle ne savait pas ce que c'était de manquer de cette présence, pas plus qu'elle n'enviait ceux qui avaient toujours connu une mère. Elle n'imaginait pas sa vie et son enfance autrement, et c'était hors de sa portée de remettre en cause tout ceci. Surtout ivre. Elle eut un petit sourire triste à son egard, puis fixa sa propre cicatrice, ridicule en comparaison. Un simple bout de peau rosie, moins doux que le reste. « A vôtre tour. » Non, vraiment, il n'y avait rien à dire. Car elle aussi s'était entaillée volontairement, dans un but presque aussi similaire, à la différence que la jeune Evpraksiya, téméraire, avait enfoncé un couteau dans son avant-bras par défi. Son meilleur ami, ce laquais, un de leurs énièmes jeux, de leurs innombrables disputes. Mais son père s'était précipité à sa rencontre dès qu'une bonne lui fit part de la nouvelle, la réprimanda de son impudence. Et si cela entachait son précieux don ? Et si elle ne pouvait plus jouer ? L'argument avait fait mouche. Un antiseptique, une bande de pansement, et rien n'y subsistait d'autre que cette cicatrice blanchâtre. Non vraiment, c'était ridicule. Et blessant pour cet inconnu dont elle ne comprenait pas la douleur. « À moins que vous ne préfériez m’expliquer ce que fait une jeune femme telle que vous, seule, dans ce bar. Ce qui pousse une demoiselle de la haute société à préférer le vieil instrument usé d’un établissement clandestin au piano d’exquise qualité qu’elle possède certainement chez elle. » En effet, elle préférait. La question prenait tout un sens puisqu'elle se la posait elle-même, ne sachant réellement ce qui l'attirait tous les soirs dans ce genre d'établissements miteux. Elle réfléchit quelque instants, prenant le temps d'admirer les volutes de fumée de la cigarette du jeune homme. Non, elle ne savait pas exactement. Mais elle s'y plaisait, n'était-ce pas là le principal ? Du moins, elle était heureuse, pleinement heureuse, en ce moment. Et c'était ceci, qu'elle attendait impatiemment ; l'inspiration. L'extase d'une telle rencontre lui procurant cette magie au bout des doigts, la fluidité improvisée des notes qui s'enchainaient dans heurts. Voilà pour quoi elle venait, et voilà ce qu'elle ne trouvait que dans l'alcool. Elle tenta vainement de l'exprimer, mais sa condition ne lui permettait pas réellement d'être compréhensible. Néanmoins, il semblait sensible à son art, alors elle se laissa entraîner par l'audace de l'alcool. De plus, il semblait voir compris qui elle était. Pur-être était-ce évident, elle n'avait jamais pris le temps de le vérifier. Son langage, peut-être, la qualité de son habit. Mais encore une fois, ses mots étaient soigneusement choisis, presque risibles par l'humour subtil qu'il y glissait. Elle sourit, une fois encore. Jamais elle n'avait autant esquissé ce simple geste d'attention qu'en cette soirée étonnante. « Et bien, voyez-vous, c'est l'usure de cet instrument qui fait tout son charme ; il a vécu, il a une âme. Qui sait quelles ballades ou airs de jazz il pourrait m'insuffler ? Alors que ce magnifique piano académique qu'une demoiselle de mon rang possède n'a connu que le solfège et mes mains, n'y a-t-il rien de plus désespérant ? Et comprenez, ici j'ai l'ambiance pour moi, une fois les clients partis, vos serveurs - je présume - sont toujours là pour apprécier en silence, complices. Et, je préfère cela à boire seule, n'est-ce pas ? » Elle lui adressa un léger clin d'oeil, ne s'attendant pas à ce qu'il comprenne. Même un passionné n'a pas cette flamme, cette tare presque, qui la pousse à tenir de tels propos, de tels rêves absurdes.
Soudain, mue par une soudaine inspiration, elle repose ses mains sur le clavier et pousse une exclamation joyeuse. « Tenez, voici ce que vous m'inspirez ! » Elle se lança sans prévenir, dans une totale improvisation. Ses doigts couraient sur les touches, la musique et les nord s'enchainaient avec délicatesse et sans heurts en une mélodie nostalgique, tant enjoué que mystérieuse. Étrangement sombre et d'or, plongé dans des démons inconnus et offerte aux yeux du monde. Elle se plongeait dans ces yeux sombres là, concentrée uniquement sur cette œuvre éphémère, tentant de reproduire le plus fidèlement possible leur profondeur. Elle s'envolait littéralement, soulevée par ces vagues de noires et de blanches. Puis elle cessa, aussi soudainement qu'elle avait commencé, et se tourna vers son bel inconnu, un grand sourire lutin aux lèvres. « Me diriez-vous votre prénom ? Que je baptise ceci. »
E. Gabriel Johnson
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Sujet: Re: try to set the night on fire ◮ gabriel&eve Jeu 19 Jan - 20:56
Du bout du crayon, l’esquisse d’un sourire. Léger, à peine perceptible. Il ne faudrait pas y deviner cette pointe de déception, emprunte d’une certaine tristesse qui me caresse à la manière d’une brise fraîche. La jeune femme, avec son petit air mutin alcoolisé, décline mon invitation à venir un soir dans ce bar vêtue comme devrait l’être un être de son sexe. Je ne le prends pas comme une offense, et comprends parfaitement qu’elle ne veuille pas s’y risquer. Pourquoi aurait-elle confiance en les paroles d’un inconnu, qui plus est d’un homme, alors qu’il s’agit du genre dont elle fuit le regard sur sa féminité ? Pourquoi me croirait-elle plus qu’elle ne devrait avoir foi en l’expérience qu’elle a déjà faite du traitement réservé à son égard ? Je me sais, comme elle-même le dit si bien, grand utopiste. Et que mes aspirations ne dépasseront peut-être jamais l’enceinte de ces murs clandestins. L’on me reproche mes rêveries, mes projets d’avenir, et ce que je projette sur ce monde. Je veux croire qu’après la guerre, il ne peut que s’améliorer. Que lorsque l’on a atteint le fond, on ne peut que remonter. J’ai la foi, celle que m’a conféré mon éducation, ma religion, et celle que je me suis forgée. Une grande foi en l’être humain. Mais parfois je me surprends à me sentir bien seul à nourrir ces idéaux. Lorsque je jette un regard autour de moi, et surtout plus bas que moi, que j’entends les uns faire la manche tandis que d’autres parlent qualité de cigares, que l’on critique une société que l’on dit pourrie ; comme quoi l’argent serait notre cancer. Et toutes ces paroles pessimistes d’une majorité tandis que l’autre partie ne veut pas songer à un avenir, préférant danser chaque soir et fêter le moment présent. J’ai ce brin de peine, lorsque j’entends la belle parler de notre « triste époque ». Cette époque qui la pousse à se travestir chaque soir afin de se sentir prise en considération par ses pairs. J’aimerais tant qu’il en soit autrement, mais qu’y puis-je ? Je ne suis qu’un vendeur de divertissement qui ne connait que trop bien la valeur décorative que l’on confère aux charmes des demoiselles. Ces charmes qui sont une base de jugement sur leur personne. J’émets un soupir silencieux, hausse les épaules avec une certaine lassitude, résigné. Ma main se porte à mon verre, puis celui-ci à mes lèvres. Je le termine d’une traite, avant que la jeune femme ne s’en charge. Puis j’écrase ma cigarette dans le cendrier, en allumant une autre immédiatement après. Je songe à toutes ces petites choses qui font de moi le parfait exemple de l’anti-Américain, tout ce que mes pairs natifs de ce grand pays qualifient d’Anglais comme s’il s’agissait de la pire chose qu’il soit. Mes idéaux, mon alcool, mes cigarettes, même ma manière de m’habiller en réponse à mon aversion pour la mode de cet outre-Atlantique dans lequel je me sens trop souvent à part. Je voyais la désillusion dans le regard des immigrés après quelques semaines à la recherche du rêve Américain. Je la comprenais, bien que n’ayant jamais idéalisé ce pays que l’on disait bâti sur l’or et les rêves. L’on parle d’un continent de pionniers, et je ne croise pour ma part que des destins brisés. Mais je sais que mon jugement est assombri par la noyade de me propres aspirations. Pas assez pour manquer de lucidité. Je viens d’un pays où existent encore les Reines, n’est-il pas normal de me voir affligé du sort des femmes sur ce continent ? Ceci dit, tant de choses changent entre ici et là-bas. Et je préfère que l’on me dise trop Anglais plutôt qu’Américanisé.
Je sens pour la première fois la chaleur des doigts finement dessinés de la jeune femme lorsqu’ils frôlent mon poignet. Ce contact me sort soudainement de ma léthargie, je dissimule un sursaut. Je me suis risqué à dévoiler à mon inconnue, de manière aussi subtile soit-elle, la véritable raison m’ayant poussé à scarifier mon propre corps de la sorte. Sans retour en arrière possible, sans guérison envisageable. Toute une vie mise en danger pour un regard qui ne se posa jamais sur moi. Un tel risque sans le seul but de ne plus être ignoré, abandonné. Hier, je pensais que cela était l’unique moyen. Aujourd’hui, je blâme ma propre bêtise, puérile, la naïveté qui avait été mienne. Je n’autorise néanmoins personne à me blâmer comme je le fais. A vrai dire, je suis soulagé de constater que ma réponse à ses interrogations semble convenir à la jeune femme, sans qu’elle n’ajoute quoi que ce soit, sans que son petit sourire ne devienne moqueur. Les vents de colère pouvant soudainement naître en moi auraient été plus forts que ma volonté de les contenir, et au moindre commentaire, la magie de cette rencontre se serait évanouie. Non, seule la compassion se lit sur le visage de la jeune femme. Et bien qu’en général un tel sentiment me rebute, me fait sentir comme un pauvre petit cabot blessé que l’on laisse sous la pluie faute de pouvoir l’accueillir chez soi, il m’est cette fois indifférent. Même agréable. Cette inconnue saoule est la seule du continent Américain a qui je parle de cet évènement de mon passé avec sincérité, sans tabou. Je me trouve quelque peu étrange, voir ridicule, de penser pouvoir me confier aussi librement à n’importe qui. Sauf que la demoiselle avait perdu le titre de « n’importe qui » dès le moment où elle avait fait chanter le piano de cette main morte apposée à la sienne. Je fais chaque jour des rencontres, plus ou moins intéressantes. Des amis, des ennemis, des artistes et des hommes d’affaires. Leurs femmes aussi, parfois. Mais rarement ces rencontres me passionnent comme celles-ci. Et les femmes qui m’inspirent de l’admiration le sont encore plus.
A mon tour je laisse libre cours à ma curiosité. Je concevais désormais que la jeune femme doive se travestir afin de se sentir bien dans ce genre d’endroit, mais pourquoi ce genre d’endroit en particulier, justement ? Je devine l’amour de la musique à son toucher, une passion que je dois admettre plus grande que la mienne. Mais est-ce qu’un tel talent ne mérite pas mieux que ce vieux piano droit de speakeasy ? Le son maladroit, les cordes affinées et fragiles, les pédales érodées, les touches creusées par l’usure, démises de leur place, de travers, trop enfoncées ou déboitées, le bois émietté… Et je comprends néanmoins que ce soit ce caractère, cette authenticité qui charme la pianiste. Puisqu’il me charme aussi. J’aime le caractère qu’il donne aux mélodies, cette manière qu’il a de les entacher avec une harmonie qui lui est propre. Il rend les chefs d’œuvres imparfaits, il a de l’audace. Cet instrument en a tellement vu, a été parcouru par tant de mains différentes, a joué de toutes les musiques, avec tous les styles, il a été le témoin du passage de tant de vies. Il ne me semblait même pas étrange de le considérer comme une personne en soi, de le personnifier. Qui me contredirait si je disais que ce piano avait une véritable âme ? Un large sourire trahit mon amusement. Je ne m’attendais pas à croiser un jour une personne ayant le même engouement que moi pour ces lieux, pour ce vieux piano usé. Un pincement de lèvres, je lève les yeux vers ceux de la belle. « Vous êtes ici chaque soir. Quand je pensais que mon pianiste laissait libre cours à sa créativité après le service, tandis que j’étais dans mon bureau… En réalité, c’était vous. Et chaque soir, je joue sur ce piano juste après vous. » Fais-je heureux de ce hasard. Je m’imprègne des lieux, et de la musique, avant de les quitter. En revanche, je bois seul. Je ne veux aucun complice, aucun témoin de mes évasions. Je rêve de public, mais ici je le rejette. En ce lieu, seul importe l’émotion du son. « C’est étrange que nous ne nous croisions qu’aujourd’hui. » J’ajoute, toujours avec ce sourire. Mes mains étreignent instinctivement celles de la jeune femme, trahissant une pointe d’enthousiasme que je refreinais. Car si ma belle avait été sous mon nez durant tout ce temps, et qu’elle le sera encore chaque soir à l’avenir, alors je la reverrais. Cette idée me réjouissait. J’aimerais dire que je ne sais pas pourquoi, mais il était clair que je m’étais pris d’affection pour elle. Ne serais-ce que parce que son toucher est divin, ses traits délicieux, sa répartie malicieuse, ses idéaux défendus, sa bataille honorable, qu’elle goûte au Gin sans grimacer, et qu’elle fume une Lucky Strike sans s’offusquer.
Ses mains glissent des miennes et filent se poser sur le piano. Sans m’attendre, elle part déjà dans le voyage des sens créé par la mélodie. Celle que je lui inspire. J’ai quelque crainte à l’écouter jouer, la peur naturelle d’entendre un reflet de moi-même qui ne me plairait pas. Néanmoins, je ne souhaite pas avoir d’autre choix que d’écouter. Ma curiosité naturelle me fait tendre l’oreille, mon regard suit avec la même agilité les mouvements de la jeune femme. Parfois, j’esquisse un sourire. D’autres, un pincement au cœur. Parfois, un frisson. L’on devine facilement à mon expression les instants qui me plaisent, et ceux qui me rebutent. Mais tous naissent de la même impression, du même sentiment ; l’adhésion, une parfaite identification. Parfois trop parfaite. A de rares instants, les notes ne résonnent pas dans mon esprit. A d’autres instants, elles possèdent une consonance familière. Les dernières notes résonnent, prennent fin si soudainement que l’arrêt de la mélodie m’échappe. Le regard fixe, vitreux, posé sur le piano, je sursaute violement et secoue vivement ma main droite que je sens brûlée en exclamant ma douleur. Mes doigts lâchent ma cigarette consumée, dont le filtre s’est entamé et avait chauffé ma peau. Le coût de mon inattention. Mon évasion. Manquerait plus que je me défigure l’unique main parfaitement fonctionnelle qui me reste. Un rire nerveux m’échappe, je me sens idiot. Vulnérable, un peu trop, face à cette inconnue qui me connait si bien. Traductrice de mes pensées profondes. Je me penche pour récupérer le mégot et le poser dans le cendrier où est sa place. Sans plus réfléchir à la question de la jeune femme, je réponds machinalement ; « Eugè… » Qu’est-ce que je raconte ? Un nouveau rire m’échappe. Je reprends, croisant le regard de la belle. « Gabriel. » Et la question se pose alors ; dois-je à mon tour lui demander son nom ? La bonne éducation que je suis censé avoir reçu m’y obligerait, néanmoins, l’idée même de briser cette part de mystère concernant mon inconnue me brise le cœur. J’ai soif de la connaître, sans savoir son nom. En redoutant de savoir son nom. Je reste là, sans plus rien dire. Sans plus rien oser ajouter. Je croire à nouveau ses prunelles émeraudes. Un claquement de porte me fait sursauter à nouveau. A mes nombreuses léthargies, je devine la fatigue qui m’avait fait m’endormir sur mon bureau un peu plus tôt. Je ne me voile pas la face, j’ai besoin de vacances. Ou ne serais-ce que de moins travailler. Dormir plus. Et sur plus confortable qu’un bureau. Je tourne la tête pour voir Joseph, le barman. Il a terminé son inventaire, et avant qu’il n’ouvre la bouche, je lui fais signe de partir. Il tourne les talons, la porte claque à nouveau. Je me retourne vers la jeune femme. « Voudriez-vous que je vous ramène chez vous ? » dis-je en bon gentleman. J’ai en effet un doute quant à l’idée de la laisser rentrer seule chez elle. La belle est saoule, et si je devais ne pas la revoir dans les prochains jours, je saurai que cela serait de ma faute. Après réflexion, je me lève et tend une main à l’inconnue. « Pardon. Je vous ramène chez vous. » J’ôte l’interrogation afin d’être plus clair ; la demoiselle n’avait pas d’autre choix, en réalité, que de me céder ma suggestion. Je ne pouvais pas la laisser seule face à New-York.
C. Evpraksiya-Honor Kniaz
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Sujet: Re: try to set the night on fire ◮ gabriel&eve Mer 8 Fév - 22:24
you're some kind of beautiful stranger
i've got a taste for danger, if i'm smart then i'll run away
Oui, il était étrange qu'ils ne se croisent qu'aujourd'hui. Evpraksiya passait la plupart de ses soirées ici, à apprécier la solitude et la liberté dont elle jouissait. Et pourtant, jamais elle ne se serait doutée être entendue d'une autorité supérieure à la sienne. Les serveurs avaient promis de garder secrètes ces heures clandestines, bien après l'heure exigée par la bienséance. Elle leur imaginait un patron tyrannique, sec et plus avide de l'argent amassé par l'alcool que d'un lieu de liberté. Bien loin de cet éphèbe anglais anticonformiste épris de musique et de gin. Elle était agréablement surprise, renforcée dans son attachement au lieu désuet. Son état actuel où, éméchée, elle ne pouvait aligner réellement des pensées construites, l'amenait à considérer cet homme aussi bien comme un mâle que comme un musicien intéressant. D'un regard expert mais presque caressant, l'oeil rendu vif par la boisson, elle suivait les lignes de sa main détruite pour remonter à son bras tout juste dévoilé, à des épaules solides, un port altier. Elle évitait soigneusement son visage. Elle ne l'avait contemplé que pour sa composition improvisée, sondant autant que possibles ces prunelles noires fixes, en apparence si froide pour les retranscrire au mieux. Elle était ravie de ces minutes d'inspiration, et elle espérait qu'il en soit de même pour ce Gabriel. Gabriel. C'était le nom d'un ange, l'Annonciateur. Un nom qui sonnait français, anglais, bien loin de ces contrées américaines. Elle était trop ivre pour avoir entendu son bégaiement, cet Eugène avorté, et n'y avait porté aucune attention. Gabriel. Cela lui allait bien. Au morceau aussi. Elle le joua discrètement pour ne pas oublier ses notes subtiles, dues à l'alcool et à ces yeux singuliers. C'était une mélodie plutôt agréable, dont son esprit embrumé se ravissait, empli d'une soudaine fierté. Chaque jour elle s'approchait un peu plus encore de cette perfection tant attendue, tant recherchée, chaque nuit, chaque verre, chaque rencontre. Celle-ci peut-être plus qu'une autre, mais peu lui importait. Ce soir, à cet instant précis, c'était en femme acceptée et respectée qu'elle avançait dans sa quête de perfection, grâce à cet Ange brun, reflet presque identique de sa propre âme. Oui, décidément, il portait bien son patronyme. Gabriel. « Gabriel. » Elle murmura le prénom, en apprécia les aspérités, les sons exotiques et la symbiose avec le morceau. Elle sourit doucement, tendrement, ivre. C'était un beau morceau. Elle le conserverait et le lui rejouerait à l'occasion, penserait peut-être même à le lui faire jouer ce qu'elle lui inspirait. Elle espérait inconsciemment le revoir, partager de nouveau des instants intimistes et tamisés avec ce piano, cet être passionnant et cette main atrophiée. Mais toujours aussi imbibée d'alcool, elle n'imaginait pas la seconde portée que pouvaient revêtir ses envies, et rêvait, enthousiaste, à un nouveau morceau avec Gabriel. Elle faisait de sa main tristement handicapée un atout, lui laissait des basses tandis que leurs trois mains restantes s'enlaçaient dans une mélodie complexe, légère puis soudainement grave. Elle imaginait, pensait plus vite les accords harmonieux de son esprit usé à ces exercices, qu'elle ne les aurait joué. Ici souveraine, animée par l'inspiration et les verres enchaînés toute la soirée, elle ne voyait que ses doigts et ceux du jeune homme voler sur les touches d'ivoire jauni de l'antique piano, dans un énième et fol espoir de jouissance musicale. Elle avait déjà oublié son visage.
Et pourtant, sa voix hésitante éteignît doucement les notes enjouées de cette composition intérieure. Surprise, vexée, elle se tourna vers lui avec une légère moue agacée, décidément dans un état déplorable. Elle tenait néanmoins bien l'alcool, et si son comportement et sa sociabilité s'en ressentaient, elle était certaine de ne pas tituber ou s'effondrer au premier pas debout. L'avantage de boire jusqu'à trépas chaque soir, peut-être, l'un des rares. Sa pensée déstructurée ne voyait plus en rien un obstacle, s'emballait comme bon le lui semblait face aux situations les plus inhabituelles qu'une jovialité alcoolique rendait amusantes. Mais il fallait que cela dure, jusqu'à ce que la fatigue la submerge, sinon quel était l'intérêt ? Et elle ne voulait pas rentrer, pas être raccompagnée. Ce qu'elle voulait, maintenant, c'était ce piano et cette compagnie agréable, ce Gabriel encore trop poli et dégrisé. Elle aurait aimé décliner, mais il ne lui laissa pas le choix. Il était vrai qu'elle avait objectivement besoin d'un chauffeur, elle était bien trop éméchée, et vivait bien trop loin, pour rentrer seule par ce temps, et cette offre était des plus galantes. Mais grands dieux non, c'était impensable alors qu'elle était à l'apogée de sa création ! Jamais pareil moment ne lui avait insufflé de tels morceaux, et guidée par l'alcool , l'heure et l'excitation de la nouveauté, elle se laissait emporter joyeusement dans cet univers fascinant qu'était le sien. Il serait stupide de rentrer maintenant. Et après quoi ? Ils avaient leur temps, la jeunesse et le plaisir pour eux. Eve n'avait qu'un seul mot d'ordre, lorsqu'il lui était permis de donner libre cours à sa passion. Profiter. Quel triste site, d'ainsi vouloir clore cette soirée. Gabriel. L'Ange Annonciateur. Non, décidément, c'était hors de question. Il se leva et lui tendit la main, main qu'elle prit telle la jeune femme de bonne famille qu'elle était. Un sourire éhonté aux lèvres indiquant clairement son état d'ébriété, elle lui répondit, un brin d'enthousiasme dans la voix. « Allons ! Rentrer alors que tout se passe si bien, n'êtes-vous pas fou ? » Elle rit et contourna le jeune homme, sans toutefois lâcher sa main valide, et commença à jouer de nouveau. D'une main habile, elle entamait un air sans signification, simplement enjoué et festif. Peut-être comprendrait-il mieux la musique. « Voyez Gabriel, je me plais ici. » Elle termina sur cette petite exclamation, accompagnée d'un léger clin d'oeil. Elle avait toujours du mal à accepter l'idée que ce bar appartenait à cet homme, ce lieu de perdition ravissante où chaque soir elle venait se libérer de ses entraves d'héritière, ce nouveau foyer. Il n'était que temps d'y vivre encore la perfection et le rire que donne l'alcool à toutes situations. Ainsi pensait-elle, épicurienne, en attirant Gabriel contre elle et le piano de sa main gauche. Profiter.
Elle savait exactement, ou du moins l'alcool le lui dictait, comment mettre cet instant à profit pour avancer. Sa hanche frôlant celle du jeune brun, sa main courant seule sur les touches jaunies, elle sentait qu'il n'y pourrait voir meilleur moment pour obtenir une réponse à ses questions tenues secrètes, faute d'interlocuteur. Sa main ralentit un instant, perturbée parce qu'elle s'apprêtait à dire de si osé, marquée par les tabous de la société. L'on n'en parlait pas. Elle était Evpraksiya, femme respectable et douée, à l'avenir brillant. Ou elle était cet homme discret, aux traits fins, qui se ruait sur le piano un verre à la main. Si peu étaient capable de reconnaître la signature d'un morceau que le lin entre ces deux êtres si radicalement opposés ne se faisait pas. Pourtant, ce Gabriel, lui, connaissait ce jeune homme et son beau sexe, sa véritable identité. Et Eve était incapable de se rappeler de ce qu'elle avait pu lui dévoiler d'autre. Son nom, son prénom si particulières reconnaissable entre mille ? Ce surnom de la femme au pêché originel ? L'alcool l'empêchait d'y voir net, et pourtant elle était habitée par une jovialité singulière, propre à ces gens souls. Ce même enthousiasme qui poussait à commettre ce que jamais l'on ne pourrait sobre, ces fameux tabous d'une société sélective. Ce non-dit honteux, qui portait à confusion. Elle se lança d'une voix timide, presque murmurée, mais osée et cinglante. « Pensez-vous que je suis ... Pensez-vous que cela fait de moi une pédéraste ? » Elle leva des yeux inquisiteurs et prudes vers son visage, sa main droite ralentissant peu à peu, se mordant la lèvre inférieure. C'était si simple à dire, voilà ce que l'alcool avait de bon.
Dernière édition par C. Evpraksiya-Honor Kniaz le Ven 17 Fév - 19:39, édité 1 fois
E. Gabriel Johnson
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Sujet: Re: try to set the night on fire ◮ gabriel&eve Ven 10 Fév - 20:12
You stay,I may as well play
Dressé de toute ma hauteur face à la jeune femme, je lui tendais cette main immaculée se voulant amicale et protectrice, proposant –ou presque- de la raccompagner chez elle. Nous aurions appelé un taxi afin que l’on passe nous prendre, contrairement à d’habitude où, malgré l’heure tardive et la nuit noire, je rentre à mon appartement à pied. Je profite en général de ces quelques minutes de marche pour me vider l’esprit. Je n’ai étrangement aucune crainte de me faire attaquer. Pas une fois dans le quartier de l’Upper East en tout cas. Mais pour raccompagner la demoiselle à sa demeure, je ne pouvais risquer qu’une personne mal intentionnée ne veuille profiter de son état. Ou qu’elle ne se fasse prendre par la police. Je me demande d’ailleurs comment est-ce qu’elle rentrait chez elle chaque soir où elle restait en ces lieux si tard. Par ailleurs, l’hiver régnait encore dehors. Le froid ; qui sait si la neige n’est pas tombée entre temps. Et ce n’était pas la perte de ses inhibitions par l’alcool qui lui feront en réchapper. Autant de raisons de ne pas la laisser seule. J’insiste, d’autant plus qu’il est l’heure pour moi de retrouver un lit chaud. Mes journées sont longues, éprouvantes, et demain ne sera pas différent d’aujourd’hui. Le jour au Palace, la nuit au bar. Je pourrais engager quelqu’un pour m’assister, comme on me l’a si vivement recommandé à la vue de quelques signes de fatigue. Mais je ne saurais avoir un jour assez confiance en qui que ce soit pour laisser mon héritage entre des mains étrangères. Je tiens à m’y rendre chaque jour, assister aux répétitions, aux auditions, parler à mes artistes, parfois aux clients. Je me suis si bien fait à l’idée que ma vie passe après tout ceci que cette règle régie chacune de mes journées, inlassablement. Et comme chaque soir où je reste seul ici, après la fermeture, je ne dépasse jamais une certaine heure pour quitter les lieux. Le cadrant au dessus de la porte de mon bureau indiquait trois heures. Je pouvais donc, si je le voulais, rester encore deux heures. Mais Joseph et tous les autres employés avec lui sont partis, il est, d’après moi, temps de partir. Je doute que la jeune femme refuse, ne serais-ce que grâce au chuchotement de la voix de la raison qui lui dirai de m’écouter. Et elle prit en effet ma main. Pour me faire me rassoir.
Mutin, son rire résonne dans la pièce et m’arrache un sourire amusé. La belle est sujette à cette euphorie que procure l’alcool, cette perte du contact de la terre ferme. Elle est ici, et ailleurs. Dans un monde dans lequel l’ivresse ne s’interrompt pas comme je l’ai fait. Oh, je comprenais qu’elle veuille rester ici. Ce cocon en briques rouges et boiseries, à la lumière tamisée, ses reflets d’ocre et d’or, imbibé du parfum du tabac et de quelques effluves d’alcool, la senteur de l’interdit ; ce banc en bois au tissus déchiré et aux pieds érodés, avec juste assez de place pour deux, face au vieil instrument de caractère et d’âme chaleureux ; tout cet univers, ce monde dissimulé, secret. Ce cocon. Si je le pouvais, je passerais mes jours et mes nuits entre ces murs clandestins, comme blotti entre des bras protecteurs, à jouer sur ce piano complice chacune des émotions me traversant, trahissant mes plus intimes pensées à l’aide de quelques notes anarchiques ou d’airs de tous répertoires. Si je le pouvais. Oui, si cela était possible, je demeurerais assis là, confortablement installé près de la jeune femme, hanche contre hanche, à profiter de cet instant au caractère unique, de cette rencontre atypique, d’une musique mystique. Si je le pouvais.
Je le peux. Cela ne tient à personne d’autre qu’à moi, après tout. Je serai fou, oui, comme s’était exclamé la jeune femme ; fou de vouloir mettre un terme à un moment si particulier et rare en ayant la raison et la morale que je n’ai pas pour excuse. J’observe donc les doigts de la demoiselle retrouver les touches du piano avec l’avidité d’un sans domicile face à un buffet. Comme si elle en avait été séparée bien trop longtemps. Un fin sourire anime mon visage ; même ivre, même loin de notre monde, elle conservait le don de rendre le dialogue universel de la musique délectable. Je n’ose pas me joindre à elle, même si l’envie me ronge. L’appel de ces notes dont je ne puis être à l’origine relève de la torture ; mes mains ne demandent qu’à se poser sur ce clavier, mes doigts à frôler ces touches bicolores. Je veux expérimenter à nouveau cette sensation nouvelle à laquelle m’a initié mon inconnue. La nouvelle vie, la renaissance de ce membre que je pensais mort, l’illusion trop réelle d’une multitude de possibilités inédites à ma portée et dont j’avais été égoïstement privé par le ciel toutes ces années. Mes lèvres se pincent. La belle désire sûrement avoir le privilège de poursuivre seule l’air qu’elle avait débuté. Alors je patiente.
Je me lève et la laisse un court instant. Rester éveillé allait nécessiter la noyade de mes inhibitions ; afin que la fatigue me soit dissimulée, je comptais me servir un nouveau verre d’alcool. Les petites marches descendues, arrivé près du comptoir, je saute par-dessus celui-ci avec une aisance trahissant l’habitude pour me trouver à la place réservée à Joseph. Je trouve sans mal la bouteille que je désire, sors un nouveau verre et y verse un peu plus de deux doigts de ce Gin dont on pourrait comparer l’intensité et les effets à ceux de la vodka. A la dernière goutte, mes pensées seront dissimulées par l’équivalent d’un épais brouillard Londonien, et sûrement ma vue sera plus floue et opaque qu’elle ne l’est déjà après cette journée d’effort. A moins que je ne parvienne pas à finir ce verre. Je retrouve l’autre côté du bar et retourne auprès du piano, prenant une fine gorgée en chemin. Je règle quelques derniers détails afin de poursuivre la nuit à mon aise ; desserrer cette cravate noire, ôter les boutons de ce gilet de costume étouffant, et ceux du haut de cette chemise emprisonnant mon cou, sortir cette épaisse monture noire de la discrète poche intérieure, et les poser sur mon nez. La jeune femme faisait désormais partie des rares personnes à savoir que ma vue n’est plus si nette une fois trois heures du matin passés. Un nouveau de mes secrets bien gardés. D’une main passée dans mes cheveux, je rends leur liberté à quelques-unes de ces mèches d’ébène. A nouveau assis, je reprends ma contemplation des gestes de la jeune femme, ponctuée par un coup d’œil à son visage et son expression enjouée. Un sourire contagieux. Je respire enfin.
La mélodie ralentit, le toucher de la jeune femme devient plus léger. Presque hésitant. Mon regard interrogateur glisse le long de son bras pour retrouver sa figure, tournée vers moi. Et ses lèvres articulent une question qui me surprend quelque peu. Jusqu’à ce que je me rende compte que je ne le suis pas tant que ça. Pas autant que je devrais l’être. Ou que l’on voudrait que je le sois. Pas choqué pour un dollar, seulement un sourcil furtivement arqué avant le retour d’un rictus amusé. Je demeure silencieux durant un temps, plongé dans l’émeraude de ses iris. « Non. » Je réponds simplement. Et compte me tenir à cela, à l’absence d’explication. Un nouveau silence. Puis je détourne le regard et laisse mes mains prendre possession du clavier. Après une courte hésitation, je reprends l’air qu’elle avait peu à peu délaissé dans la confusion de ses pensées saoules. Cette mélodie enjouée. « Mais ce n’est que ma pensée. Qu’elle est la vôtre ? » Je rétorque ensuite, armé de ce léger sourire mutin. « Votre cœur battrait-il pour une personne que votre raison, ou que la loi, vous interdit ? » Comme par exemple, une femme. Ma main invalide saisit le verre posé au-dessus du piano, une gorgée brûle délicieusement mon estomac. Jamais la musique ne s’interrompt. « Si je puis me permettre, j’en serais navré. » Peut-être une parole trop osée. Je n’ai néanmoins pas pour habitude de taire mes pensées. Et j’étais sincèrement convaincu qu’il serait bien trop dommage que le charmant spécimen près de moi puisse offrir ses lèvres voluptueuses à une autre femme.
C. Evpraksiya-Honor Kniaz
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Sujet: Re: try to set the night on fire ◮ gabriel&eve Dim 26 Fév - 23:34
like a flower waiting to bloom
i'm just sitting here waiting for you to come home and turn me on
« Ah oui ? Et bien, je serais navrée de ne pouvoir vous regarder sans arrière-pensée. » Elle le regarda avaler une gorgée brûlante de gin, la chemise déboutonnée, les cheveux défaits. Pour la première fois de la soirée, leurs regards insistants se croisèrent et s'attachèrent un instant. Elle n'imaginait pas la saveur ardente qu'aurait l'alcool, coulant le long de sa gorge à sec, assouvissant le besoin vénéneux de boire jusqu'à trépas. Elle se demandait au contraire quel serait le goût de ses lèvres charnues imbibées de gin, qui souriaient avec le rire retenu de l'ironie. Elle ne s'enivrait plus des relents du whisky mais de l'odeur charnelle de leurs corps et de leurs mains. Elles jouaient, s'effaçant devant l'une ou l'autre par une mélodie improvisée et légère. Gabriel menait, une fois n'était pas coutume. Avec plus d'assurance - Eve le remarqua sans peine - il usait de sa main atrophiée, nue sur les touches d'ivoire, puis portait le verre à sa bouche. Evpraksiya en suivait le mouvement, fascinée, le regard vidé par l'alcool. De son bras suivait son épaule, qui elle menait à son cou dévêtu, puis de nouveau à ses lèvres rosies. Elle était heureuse d'avoir reçu sa réponse, qui plus était favorable et flatteuse, d'un homme aussi séduisant et agréable d'esprit. Elle se féminisait sous son regard d'obsidienne, inquisiteur, charmeur, ne retenait plus des sourires amusés qui révélaient son sexe. L'alcool déliait ses attaches. En l'absence de public, en présence uniquement de cet homme et du piano, elle oubliait ses lois rigides et appréciait enfin son sexe, les manches révélées, dévoilant ainsi des bras blancs vierges de tout stigmate, à l'exception de celui qu'elle lui avait montré. Elle avait été élevée selon une condition souveraine, elle ne tolérait aucun écart au respect qui lui était dû et conservait les tabous de sa classe. L'homosexualité en était un. Souvent, lorsque dégrisée et rentrée chez elle, elle se demandait si son attitude frivole ne faisait pas d'elle un de ces êtres étranges, peut-être malades. Si devenir un homme ne la rendait pas attirée par le beau sexe. Elle ne pouvait se répondre, il lui manquait le point de vue d'un véritable homme. Peu lui importaient les rires ou les souris des femmes libertines qu'elle côtoyait la nuit, mais l'opinion publique ? Si soudainement on la reconnaissait, l'héritière de cet empire industriel deviendrait-elle alors un monstre ? Pour elle, cela n'était pas gênant, elle ne savait pas écouter les mots. Seules les notes savaient comment l'atteindre. Mais elle ne pouvait renoncer à sa situation aisée pour ses idéaux féministes, et son honneur noble ne pourrait être entaché de rumeurs sur sa sexualité, cela elle ne le supporterait pas. Sa fierté était son plus grand bien, comme son pire démon. Elle aimait jouer avec le feu, mais n'en mesurait pas et n'en assumerait jamais les conséquences. C'était pourquoi elle était heureuse d'entendre d'un homme aussi agréable à ses yeux qu'elle ne méritait pas cette appellation, et, ivre, elle se libérait peu à peu des artifices qui faisaient d'elle un puissant. Il ne suffisait que d'un regard plus enjoué, grisé par l'alcool, d'un regard plus lascif et mutin pour qu'elle devienne femme.
Le piano continuait, Gabriel faisait danser ses doigts valides ou non avec aisance, soulevait le cœur d'Evpraksiya d'un bonheur profond que seule la musique pouvait lui apporter. Elle aurait aimé le rejoindre, mais elle sentait qu'il y préférait la solitude sur les touches blanches jaunies par l'usure et le temps. Soûle lui venait une présence d'esprit qu'elle n'aurait jamais eu sobre, où peu lui importaient les souhaits de ses pairs concernant un piano. Alors elle en profitait pour continuer son étude de longue haleine, suivant du regard chaque mouvement de poignet et son sourire franc. Elle nageait dans cet océan brumeux de bonheur vague qu'offrait l'alcool, béate, ivre de se sentir femme à nouveau. Et libre, surtout. Entièrement libre de faire ce que bon lui semblait, ce que son cœur indiscipliné ou son esprit anti-conformiste lui dictait. « J'aimerais ... J'aimerais essayer quelque chose. » Elle n'avait jamais fait ceci auparavant. Mais elle n'y pensait même pas. À quoi pouvait-elle réfléchir, à quels jeux habiles son cerveau pouvait-il se livrer après tant de bouteilles et de verres écoulés ? Elle se laissait aller, et en était ravie, c'était tout ce qui comptait. La pièce aux lumières tamisées, aux murs de briques, aux odeurs de tabac froid et d'alcools forts, cette mélodie entêtante, et Gabriel. Elle pencha doucement la tête avec un léger sourire, sa hanche venant frotter contre celle du jeune homme, et posa lentement ses lèvres sur les siennes, l'empêchant discrètement mais fermement de fuir. Ce contact la grisa plus encore. Jamais elle n'avait embrassé quiconque, mais l'alcool guidait ses pas avec plus d'audace que le ferait l'habitude. Elle s'appuya légèrement et posa sa main droite contre la joue de Gabriel, jouant volontairement, attrapant sa lèvre inférieur entre les siennes. C'était explosif, incendiaire, brillant, nouveau. Inédit, agréable, solaire, grisant, parfait. Elle recula un instant et fixa ses yeux noirs, ses prunelles sombres et étonnées. C'était bon, meilleur même que le son gémissant de son archet sur son violon. Encore trop court pour espérer être plus intense que le toucher d'un piano. Elle en voulait plus. Instinctivement, son corps de femme tout juste libéré réclamait tout ce que Gabriel pouvait lui offrir.
Effrayée, elle recula brusquement et se leva, renversant presque le bancal piano droit de bois rongé. « Je ... Je n'aurais pas dû. » C'était trop nouveau, trop insolite et trop puissant pour que son esprit de droiture l'accepte sans broncher. L'alcool accentuait toutes ses émotions, y compris cette nervosité malvenue dûe aussi bien à l'heure et à la fatigue qu'à e baiser impromptu. À ce premier baiser. Elle attrapa son manteau épais et son chapeau de feutre et se rua vers la sortie, incapable de comprendre ce qu'elle venait de faire. Elle savait seulement qu'elle se ridiculisait. Usée à emprunter ce couloir, elle passa par le Criff et quitta trop rapidement le PDT pour éprouver un seul regret. Il pleuvait encore. Elle se rua dehors et s'adosse contre le mur à l'entrée, déjà trempée, et ferma les yeux. Que venait-elle de faire ? Mais Dieu, elle se souvenait à présent si clairement de cette sensation de pouvoir et de symbiose, ce bonheur brûlant ... Presque entièrement désoûlée par le choc thermique, la pluie et sa réaction hâtive, elle fit un pas hésitant et tituba sur l'asphalte. Elle n'irait pas bien loin comme cela. Et après ce qui venait de se passer, elle ne se sentait pas vraiment de partir.
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Sujet: Re: try to set the night on fire ◮ gabriel&eve Mar 28 Fév - 16:18
Break all my Thoughts hit the Floor
Un sourire. Comme un sentiment de gêne. Une chaleur inhabituelle traverse mes bras et anime mes doigts. Un frisson. Les touches plient encore sous mes doigts. Mais le rythme a ralenti. Un souffle nerveux, un rictus amusé. Tout cela pour un compliment. De ce genre de paroles que j’avoue volontiers connaitre par cœur. Entendus chaque jour comme le refrain d’une mélodie. Comme des courants d’air, sans plus d’importance, sans plus de valeur. De ces choses agréables qui ne riment plus à rien lorsque l’on en a pris l’habitude. Oui, ces belles paroles ne sont plus censées m’atteindre, elles font partie des banalités. Elles ne valent pas plus de ma part que de celles des autres, pas plus que ces ridicules formules de politesse et de courtoisie. Des compliments, comme des courbettes, hypocrites petits mots qui sonnent bien trop faux. Mais que dire de la langue déliée d’une jeune femme ivre, de ses paroles impudentes, subtiles mais osées ? Qu’ajouter de plus à la légère morsure de j’afflige à mes lèvres, si ce n’est ce léger rire nerveux, pour traduire le retour d’une sensation disparue. Une gorgée de Gin fait passer cet amusant malaise, et je reprends contenance, ainsi que le cours de la mélodie. Seules mes mains caressent le clavier jauni, je le remarque à peine. Je me suis habitué à la présence de la jeune femme, et à l’absence du cuir entre ma peau et l’ivoire. Une étrange sensation, un paradoxe entre une présence et le néant, qui a néanmoins un caractère enivrant. C’est une drogue en soi, de se sentir libre de ses mouvements, libre d’être soi, rien que physiquement. Plus qu’un gant, c’est un masque qui est tombé ce soir. Je ne peux désormais nier avec toute ma crédibilité que les cicatrices du passé me hantent encore, et que cela touche ma sensibilité dès qu’elles apparaissent à ma vue. Plus qu’un gant, ce bout de cuir est un bouclier pour moi. Et c’est du bout de ses doigts féminins que l’inconnue m’avait fait poser mes armes à terre. Je me sens un peu plus moi à chaque seconde, et je me délecte de cette sensation, m’en imprègne. Aidé d’une dernière gorgée de Gin, et de cette mélodie pianotée qui n’en finissait pas. Un fin sourire, impossible à gommer, s’est esquissé au coin de mes lèvres. L’on y lit un profond bonheur, l’on y devine cette transe faisant battre mon cœur à chaque fois que la pédale s’abaisse et frappe un temps. Derrière mes paupières closes, il me semble voir la couleur des notes. Des couleurs pour lesquelles nous n’aurions encore pas trouvé de nom, et n’existant pas en tubes. J’imagine un tableau peint à partir de pigments de Ré, de Sol, de Fa. Cela ressemblerait à un tableau d’Edward Hopper, pour sûr. Pour sûr, l’alcool me monte à la tête. Bienheureusement que personne ne soit en mesure, pas même la jeune femme, de lire en moi au point d’y deviner mon délirium musical et visuel. Le bal de sons et de couleurs d’un fou.
En ouvrant les yeux, je retrouve mon cocon clandestin. Je devine la voix timide de mon inconnue. Timide, comme jamais jusqu’alors elle ne l’a été. Elle qui a été homme, puis femme ivre de caractère, puis artiste euphorique. Voilà que je décèle une hésitation dans sa voix, et qui me laisse penser qu’elle mérite toute mon attention. Mes doigts quittent l’instrument, je ne dirais pas à regret. Ce n’était qu’une mélodie pour en remplacer une autre, et la petite voix de la jeune femme prenait la place du chant du piano. Je me tourne légèrement vers elle, afin de pouvoir l’observer. Merveilleuse idée que cela avait été que de poser cette paire de lunettes sur mon nez ; je peux ainsi continuer de distinguer le vert des prunelles de la demoiselle. Sans quoi, ils n’auraient été que deux vulgaires tâches sombres, vitreuses, sans cet éclat de malice adorable. D’un fin sourire, je l’invite à poursuivre sa pensée. Puisqu’elle s’est contentée d’annoncer qu’elle désire expérimenter quelque chose. Je m’attends à quelque improvisation au piano, un nouveau dialogue via le filtre qu’est cet instrument et par lequel nous communiquons depuis notre rencontre atypique. J’écoute, j’observe, je sens. Sa silhouette qui s’approche, sa hanche contre la mienne, et bientôt, mes lèvres effleurant les siennes. Je me perds un instant entre surprise et déroute, plaisir et allégresse. Je ne sais quel mot accoler à cette vague d’émotions me traversant de part en part, comme la décharge de ce contact électrique. Mes paupières se scellent tandis que sa main s’appose à mon visage. D’une légère étreinte, une pression dans le bas de son dos, je la conserve près de moi. Et l’approche même plus. Les secondes sont longues, délectables, sublimes. Je ne saurai dire pourquoi. J’ai connu tant de baisers, si différents et pourtant, si similaires. J’en connais les goûts et les parfums comme s’ils avaient chacun encré leur signature sur les berges de ma mémoire ; sucrés, acidulés, âpres, ou teintés d’amertume ; ces fruits rouges, ces vanilles exotiques, ces orchidées ; et ces couleurs variées de rouges à lèvres du rose au rouge jusqu’au profond Bordeaux. Trop superficiels, trop fréquents, frivoles, farceurs, ces baisers scellés et expédiés aussi vulgairement que des lettres ont perdu toute leur magie, leur profondeur, leur signification. Ces baisers désacralisés sans le moindre sens, si ce n’est la recherche d’un contact éphémère, brut, et primitif. Cet instant-ci est cher, unique et inédit à mon cœur. C’est cette jeune femme éméchée et travestie qui m’embrasse cette fois. Et ses lèvres sont nues. L’étreinte est grisante. Parfaite.
Trop courte. Comme tiré d’un profond sommeil, j’ouvre à nouveau les yeux, et retrouve immédiatement ceux de l’inconnue. Son regard semi-absent dans lequel l’on peut deviner la présence de ces quelques étincelles pétillantes propres aux femmes après un baiser. Un vrai baiser. Un pincement au cœur, un frisson électrique. Un léger malaise, une interrogation dans mon regard, qui glisse de ses prunelles à sa bouche entrouverte, à plusieurs reprises. J’ai laissé une poignée de pensées s’échouer sur les rives de ses lèvres et être caressées par quelques vagues teintées d’alcool. J’ai conservé l’empreinte de ces sensations brillantes comme un peu d’écume nacrée aux commissures. En attendant de retrouver pleinement mes esprits, j’ai les idées plongées dans un épais brouillard digne de Londres les soirs d’automne. Durant cette courte absence, je ressens le besoin de renouveler ce contact. Son visage est encore si près, son souffle nerveux chauffe ma peau, quelques caresses involontaires se glissent entre nous telles des hésitations, ou des encouragements. Je ne saurai dire, ce verre de Gin était en trop. Je sais que je la désire, mais que cela n’est pas ce que je souhaite. Il serait trop banal de ma part de simplement la vouloir, et me donner les moyens de l’avoir, comme toute chose croisant mon chemin. Cette jeune femme n’est pas de ces choses, je sens au plus profond de moi qu’elle est différente. Irrémédiablement, une connexion, un lien, s’est créé entre elle et moi. Elle a rendu cette nuit unique, cette journée inédite, elle m’a insufflé un nouveau type d’inspiration, a su me toucher et m’imposer de l’admiration. Je ne saurais me contenter de la traiter comme une énième « autre », rabaisser sa personne à un simple objet de ma convoitise comme le serait un tableau, une sculpture, un fauteuil. Elle a ce qui me plait dans le Gin, dans les Lucky Strike, dans le Jazz, dans ce vieux piano usé de speakeasy ; cette authenticité brute, cette imperfection, ce caractère, cette âme. Et comme l’alcool brûle ma gorge, le tabac embrase mes poumons, comme la musique s’empare de mon esprit, j’ai le besoin, trop humain, de retrouver cette osmose avec elle. Faire de son corps un Narguilé et m’accoutumer de ses lèvres. Et de son souffle chaud sur ma peau.
Ces rapides secondes prennent fin, la belle détourne son regard, prise d’une soudaine panique que je ne m’explique pas. Elle balbutie des regrets en sautant du banc creusé, appuyant maladroitement sur un ensemble de touches d’ivoire qui font résonner tous ensembles un accord disharmonieux et brutal dans toute la pièce. Mais je ne comprends pas plus la raison d’une telle peur que son départ immédiat. Homme d’influence et de pouvoir, je ne puis que demeurer là, parfaitement impuissant, à l’observer prendre sa veste et l’enfiler gauchement, récupérer son couvre-chef de feutre posé sur le haut du piano et l’enfoncer sur son crâne grossièrement, pressée par je ne sais quelle urgence de sortir, de claquer la porte. Je n’ose rien dire, pas même la retenir. Mes pensées alcoolisées demeurent noyées et incompréhensibles. Mes membres fatigués, comme lourds et anesthésiés. Je ne puis me lever aussi rapidement qu’elle. Et puis, pourquoi devrais-je la retenir ? Pourquoi l’empêcher de quitter ces lieux, si tel est son souhait ? Quoi que je fasse, la voilà déjà partie, et moi laissé pour abandonné près de ce fidèle piano, éternel témoin des vies entre les mains desquelles il passe. Je soupire. Me mets à réfléchir. Trouve le paquet de cigarettes non loin de moi et en porte une à mes lèvres, machinalement. La flamme du briquet termine de me sortir de ma léthargie. Une inspiration enflamme ma trachée, la fumée grise traverse doucement mes lèvres. Elle fume des Lucky Strike, sans sourciller. Je dois la rattraper.
I'll be What you Need
Je saute du petit banc et quitte l’estrade. Mes pas claquent sur le vieux parquet, les grincements résonnent dans toute la pièce, me rappelant que j’y suis désormais bien trop seul. Je suis pourtant seul ici chaque soir, où sans le savoir je ne faisais que marcher dans les empreintes de pas de la jeune femme m’ayant quitté. Seul entre mes murs clandestins, en tête à tête avec ce piano, un verre de Gin et une cigarette, tel est mon rituel. Mais je sais qu’il appartient au passé, je ne saurais désormais me contenter de cette solitude, maintenant que j’ai découvert celle que je peux qualifier d’âme sœur. Je refusais le moindre témoin de mes escapades musicales et nocturnes, je n’acceptais pas que l’on puisse se permettre de lire en moi durant mes égarements. Sauf depuis qu’elle avait fait tomber mon masque, ma carapace. Ce qui me permet de survivre une fois dehors. Il avait suffi d’une poignée de minutes, de quelques notes dans l’air. Rien qu’un court instant, j’avais déposé ces armes. Et me voilà stigmatisé par l’un des dangers de New-York ; une femme. Pourquoi avait-elle créé ce besoin en moi de pouvoir me libérer de ces chaines entravant des ailes immobilisées depuis tant d’années ? Pourquoi avoir créé cette brèche qu’une ancienne frustration et une curiosité nouvelle me poussent à ouvrir plus encore ? Cela n’avait bien évidement pas été son intention. Comment aurait-elle pu vouloir me blesser si délicieusement, l’esprit embrumé par les effluves de l’alcool ? Ce faux éphèbe avait néanmoins réussi ce que font de mieux les femmes ; détruire les défenses des hommes, les atteindre, les rendre vulnérables. Cette sensation me rend fou ; moi qui suis si parfaitement habitué à être seul maître de moi-même, je sens cette toile invisible partir de mon torse et me lier à son regard émeraude. Je ne puis demeurer là plus longtemps. La laisser partir seule et saoule, tituber le long de la First Avenue comme un sans abri sous la pluie battante. Qu’est-ce que New-York pourrait faire d’elle, puis laver à l’aide de cette averse, comme elle le fait chaque soir ?
Je claque la porte de mon bureau, j’en oublie de la fermer cette fois-ci. J’ai simplement attrapé mon manteau qui avait eu le temps de sécher depuis mon arrivée, et appelé à mon appartement afin que le Majordome vienne me chercher en voiture. Pas de chapeau, pas même de parapluie ; que pourrait me faire cette ondée qu’elle ne m’a déjà affligé sur le chemin entre le Palace et le bar ? Mon allure est déjà ruinée, je n’ai plus à m’en soucier. J’enfile non sans une certaine difficulté mes bras dans les manches de la veste tout en traversant la pièce. Je n’éteins pas les lumières, j’attrape les clés posées sur le comptoir au passage et quitte ma condition de hors la loi une fois le seuil de l’établissement passé. Cette porte est la seule que j’ai la présence d’esprit de verrouiller. Je sors de la cabine téléphonique du Crif Dogs, comme né du néant. La salle vide est plongée dans l’obscurité, ces chaises ont été abandonnées depuis bien des heures déjà. Ces affiches où se détachent les ombres de quelques branches battues par la pluie donneraient un caractère sordide à ce lieu pour qui n’y serait pas habitué. Une vieille odeur d’huile s’est imprégnée dans les murs et semble plus présente chaque soir. Dans mon inattention, mon pied heurte l’une des chaises métalliques dont le pied frotte le carrelage dans un bruit assourdissant. Je sursaute avant de machinalement dégager l’assise du passage. Je m’approche de la porte vitrée dont les stores sont baissés pour faire croire à un établissement fermé. Deux doigts écartent les lames plastifiées afin de dégager ma vue. Je cherche la jeune femme, mon regard glissant le long de l’avenue. Partie depuis deux minutes à peine, ralentie par une longue soirée à boire, elle ne peut pas être plus loin que l’autre côté du trottoir. Mais aucune silhouette ne se laisse deviner derrière ce rideau de pluie et l’ombre des immeubles. Je me mords nerveusement la lèvre ; elle n’a pas pu me filer entre les doigts. Pas de cette manière.
Je sors finalement du Crif, et me retrouve immédiatement trempé. Il me semble que l’averse s’est faite plus intense depuis ces dernières heures, je ne me souviens pas de ce froid lors de mon arrivée. Je sens mon front et mes joues martelées par d’épaisses gouttes d’eau, et déjà mon regard barré par quelques mèches humides. Personne dans la rue, si ce n’est un chat impétueux. Je soupire, me laissant retomber contre la porte. Je ne veux pas croire que je l’ai ratée. Et si elle décidait de ne plus revenir ? Je n’en sentirai évidement coupable ; je n’aurai pas su la rattraper et lui assurer que ce qui venait de se passer n’était rien de grave, qu’elle ne pouvait se le reprocher. Je ne sais pas pourquoi cela lui avait inspiré un tel vent de panique. Je soupçonne l’alcool de lui avoir fait perdre ses moyens. Un nouveau soupir. Elle n’avait guère besoin de fuir ainsi, bon sang. Et maintenant, il se peut qu’elle ait peur de me voir à nouveau. Alors que je sens qu’en être privé finira par atrocement me manquer. J’ai froid. Un frisson glacé remonte le long de ma colonne vertébrale et traverse mes membres encore engourdis par la fatigue. Ce frémissement se ressent jusqu’au bout de mes doigts. Je remarque alors qu’il manque un gant à ma main. Le bout de cuir est resté abandonné sur le haut du piano ; je n’avais même plus pensé à le récupérer. Alors qu’il m’avait toujours semblé si vital pour moi, voilà qu’il m’était tout bonnement sorti de la tête. Je sors cette masse molle de ma poche de manteau, l’observe quelques secondes, le cœur serré. Ces cicatrices que j’avais toujours assimilé aux pires souvenirs de ma vie ne pourront plus apparaitre à ma vue sans que je ne songe à la plus étrange, originale, sublime rencontre depuis que j’ai posé le pied sur le sol Américain. Malgré elle, la jeune femme avait encré ses empreintes un peu partout sur moi. Elle sera désormais toujours présente, comme une ombre.
Une ombre. Ce que je prenais jusqu’alors pour ma silhouette se détachant sur le mur du Crif Dogs se meut sans que j’aie effectué le moindre mouvement. Je tourne la tête et devine finalement mon inconnue à pas deux mètres de moi. Présente depuis toutes ces minutes où je songeais à sa disparition. Un rictus amusé anime le coin de mes lèvres ; je suis décidément bien ridicule. « Froid, n’est-ce pas ? » Je lance dans le vent, à peine assez fort pour qu’elle puisse m’entendre. La tête contre la porte, je l’observe, aussi trempée que moi. Je me décolle finalement du mur pour m’approcher d’elle, quelque peu craintif qu’elle ne fuit au fur et à mesure que j’avance. Mais j’ai le temps de saisir sa hanche avant qu’elle ne m’échappe à nouveau. A peine prisonnière de mes doigts, c’est du regard que je cherche à l’empêcher de partir, sans plus quitter ses iris clairs. Je lève légèrement le chapeau couvrant ses yeux avec un léger sourire et laisse cette main gauche glisser sur ses mèches inondées d’eau pour les replacer derrière son oreille avec délicatesse. Puis elle s’égare sur sa joue. « Pourquoi être si pressée de fuir ? » lui demandais-je d’une voix douce, sans accusation. Je ne suis jamais dans ce genre de situation, je ne connais pas ces sensations. Jamais je ne lâche tout pour suivre une inconnue sous la pluie, car jamais les inconnus ne me marquent de cette manière. Je ne sais pas ce que nous sommes censés dire dans ces moments-là. Dire, ou faire. Homme d’influence et de pouvoir, tout de même naïf, qui ne sait plus comment les mots sonnent, quelles paroles s’accordent entre elles. Mes yeux vont et viennent depuis ses pupilles à ses lèvres.
Le Majordome sortit la voiture et descend la First Avenue menant droit de l’appartement au bar. Une ligne droite sur une route tranquille éclairée par quelques réverbères et fenêtres ouvertes sur les noctambules. Un bruit de moteur retentit non loin du Crif Dogs après quelques minutes. Le vieil homme me cherche du regard, sa vue est encore bonne pour un vieillard. Il peut apercevoir deux silhouettes devant le bâtiment, de l’autre côté de la rue. Il soupire, pensant que c’est un refrain qu’il ne connait que trop bien, un refrain auquel je l’ai habitué. Mais il ne sait rien. Il me voit me pencher sur la jeune femme, et après avoir marqué une légère hésitation, capturer ses lèvres dans un baiser. Un long baiser. Il hausse un sourcil, trahissant son étonnement. Un long baiser ?
J’ai finalement cédé, retrouvé cette caresse électrique. Je l’embrasse avec cette pointe de crainte qu’elle vienne à écourter l’instant. Car je ne veux pas qu’il cesse. J’attrape sa lèvre inférieure entre les miennes encore une fois, caresse sa joue du bout du pouce. Un long baiser, un léger goût salé, un contact brûlant sous l’averse et la brise hivernale. Je peine à la libérer, laissant la caresse se prolonger du bout des lèvres. Et son front contre le mien.
« Monsieur Gabriel ! » résonne depuis la voiture arrêtée. Je soupire et relève lourdement la tête. D’une main, je fais signe d’avoir entendu. De l’autre, j’attrape le poignet de la jeune femme pour qu’elle me suive. Nous nous engouffrons dans le véhicule, au sec. Une seconde de silence, je retrouve mes esprits. « Nous allons raccompagner cette demoiselle chez elle. » J’annonce à notre chauffeur. La voiture redémarre, et je me fais silencieux. Un malaise ; je ne sais plus quoi faire de moi-même. Si ce n’est me taire, attendre, réaliser. Me terrer dans ce souvenir encore si présent. Et, parfois, furtivement, adresser un regard à la belle. « Il vous manque un gant. » « Je sais. »
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Sujet: Re: try to set the night on fire ◮ gabriel&eve