histoire

La vie n'est pas tranquille, mais elle est un long fleuve.

-Virginia ne reviendra pas, mon chéri, vient plutôt t’asseoir près de moi et lis-moi à nouveau ce poème que tu as écris !
Le garçon tourna la tête de la fenêtre et osant un regard à son père qui lui fit un signe de tête d’encouragement, s’installa près de sa mère. Elle avait déjà abandonné sa robe de deuil pour arborer à nouveau ses toiles rouges éclatantes.
-Maman, vous auriez pu garder votre robe noire, osa le garçon en ouvrant son cahier.
-Allons Lawrie mon chéri ! Dénoue-moi cette cravate trop serrée, lança-t-elle en ébouriffant ses cheveux !
La femme se pencha vers la table pour attraper le verre de whisky plein qu’elle venait de se servir.
-Tu en veux Lawrie ? Tu sais, si tu ne fais que penser à elle, elle te fera souffrir toute ta vie…bois, ça te fera du bien ! Je sais combien elle te manque mon chéri, reprit-elle sur un ton maternel, passant son bras autour des épaules de son fils pour l’amener à lui. Pardonne-moi, je suis une bien mauvaise mère !
-Non maman…..
-Oublier Virginia est le seul moyen de ne pas perdre pied, comprends-tu ?
-Oui maman…
-Ma petite princesse…ma tendre colombe….envolée…à jamais.
Resserrant son étreinte autour de son fils, elle l’étouffa contre son sein, laissant couler des larmes qui roulèrent dans le cou de Lawrence.
]-Mon chéri….ne me quitte pas ainsi, je t’en prie, murmura-t-elle…reste avec moi.

Le garçon ferma les yeux à son tour, ne voyant danser devant ses paupières closes que sa grande sœur de 12ans, emportée par la tuberculose. Elle était si heureuse, si fraîche, si douce…sa grande sœur, sa moitié.
-Ellinor, il faut y aller à présent, vient.
Lawrence Seymour Senior s’était approché et avait tendu une main vers la femme qui se relevait péniblement. Sans un mot, elle vida d’une traite son verre avant de gravir une à une les marches menant à sa chambre. C’était là la décadence d’Ellinor Atwell, danseuse de cabaret aux ailes brûlées.
Elle avait trouvé l’amour, mais abandonné ses rêves de gloire lorsqu’elle était tombée enceinte de Virginia. De longues années avaient passé, pendant lesquelles elle assurait à son entourage être une femme pleine de vie, ne regrettant pas ses instants de gloire, mais la maladie de sa fille avait fini par ronger l’esprit de cet être à l’âme vagabonde et romantique. Ellinor s’était réfugiée derrière ces masques qu’elle arborait, sirotant son whisky en ne se retenant plus à ce qui pouvait lui échapper : sa vie.

Sans un mot, Lawrence Junior pris la photographie de Virginia qui trônait sur un guéridon et rejoignant sa chambre, posa le cadre sur sa table de nuit, tel un trophée. Elle sourirait là, à tout jamais à ses côtés.

***

-Dumas, monsieur Seymour ? Où êtes-vous donc allé pêcher cette idée saugrenue ?!
-C’est un auteur français, monsieur.
-Qu’importe ! Dumas….Dumas ! Un homme bon à raconter une Histoire détournée ! Et une Histoire de France, qui plus est !
-Son roman est un roman d’amitié, d’ambition et de pouvoir. C’est un roman humain, se défendit l’adolescent face à son professeur goguenard. Dumas est l’un des chefs de fil du romantisme en France, comme Victor Hugo !
-Hugo ?! Cet hérétique qui a osé écrire ce torchon appelé « Notre-Dame de Paris » ! Monsieur Seymour, je ne veux pas que vous rameniez ce brûlot ici, est-ce clair ?
-Oui monsieur, mais cela ne m’empêchera pas de le lire. Avez-vous seulement lu cette déclaration de Frollo à la Esmeralda ? Toute la puissance de Hugo en ces quelques termes, toute la beauté de l’art dans ces mots !
-Taisez-vous, monsieur Seymour et rangez-moi ce roman français !

Lawrence rongea son frein et se retint de lancer publiquement ce qu’il pensait de son professeur et de son avis. Jetant un œil sur sa note médiocre, il soupira. Ce conflit d’opinion l’opposerait toujours à son professeur et Lawrence se réjouissait de ne pas avoir à compter sur sa présence lors de son examen de fin de collège. L’an prochain, l’université l’attendait.
Pour l’heure, il tâchait de ne pas laisser éclater son avis sur ce cours et les compétences de son professeur.
A 18ans, était-il un de ces génies surdoués ? On ne peut le dire, les résultats scolaires en algèbres étant catastrophiques, mais Lawrence ne désespérait pas de pouvoir atteindre une prestigieuse université en études littéraires.
S’il aimait lire, c’est qu’il puisait dans ces auteurs français ou anglais ses sources d’inspiration pour ses propres écrits. S’il ne se cantonnait qu’au miteux journal de son école, ses rêves ambitieux étaient d’écrire un roman, l’histoire de la vie telle qu’il se l’imaginait. Il avait hérité de ce caractère maternel, cette tendresse douce mas impalpable, cette humour égale et sans impulsivité.
Comme elle, il voyait le monde comme un livre d’image, sans cesse à revoir, à réinventer. Une rue cachait des mystères sans cesse renouvelés, un bâtiment pouvait changer de peau selon le jour auquel il le percevait.

Mais écrire, lorsque l’on vivait entre un père professeur de philosophie désabusé et une mère reconvertie au whisky, c’était également cette échappatoire dont Lawrence avait besoin, cette catharsis par laquelle il faisait à nouveau revivre Virginia.

-Que veux-tu faire l’an prochain, lui souffla son voisin ? Moi Oxford si mes parents veulent bien m’envoyer en Angleterre.
-Je préfère Yale, leur programme de littérature me plaît d’avantage et je préfère rester ici pour le moment….ma mère ne supporterai pas mon départ, je crois, admit-il dans un sourire. Et avec la guerre, tu veux quand même partir ?
-Oh on dit qu’elle ne durera pas…en 1915 ça sera terminé si tu veux mon avis !
Lawrence haussa les épaules, perplexe. Rester aux Etats-Unis était bien plus certain qu’aller se faire trouer la peau en Angleterre ! La guerre…comment pourrait-il y trouver sa place ? Il détestait la violence, le sang le répugnait et sa vision d’esthète était bien trop sensible pour apprécier un combat. Tant qu’il le pourrait, la guerre ne serait pas son champ de bataille. Celle-là était celle de l’Europe, pas celle de l’Amérique.

***

-TU VEUX QUOI ?
-M’engager, papa. Dans l’aviation.
-Mais tu ne sais pas piloter, bougre d’idiot ! Tu es tout juste bon à écrire des lettres, à dessiner, à rêvasser ! Mon fils, tu ne partiras pas !
-J’ai l’âge requis, papa. Je serais reporter de guerre.
-Je te l’interdis, souffla son père d’un ton aigri, ignorant les cris étouffés d’Ellinor en sanglots. Elle avait déjà enchaîné trois verres de whisky secs et se lamentait sur le sofa.
-Va l’expliquer au lieutenant qui m’a fait signer, répliqua Lawrence d’un ton abrupt.

Le père et le fils se jaugèrent ainsi, les yeux de l’un fusillant les prunelles calmes du second. Junior….son Junior avait donc tant grandi ? Etait-il donc déjà en âge de faire ces terribles choix ? Ce garçon si calme, doux et studieux était donc devenu ce jeune homme décidé, prêt à tout abandonner pour vivre la guerre ? Il avait toujours refusé cela, il le lui jurait encore un an auparavant !
-Et Elsa, tu y as pensé, Junior, lança-t-il en espérant faire revenir son fils à la raison ? Ne l’aimes-tu pas assez pour ne pas partir et rester pour elle ?
-Nous avons rompu, papa. Elle voulait se fiancer.
Le père se retint de gifler son fils à cette annonce. Laisser tomber cette fille dont il parlait chaque jour ?! Abandonner ses amis d’université par qui il ne faisait que jurer ? Oublier ses brillantes études, cette vie mondaine dans laquelle il se plaisait tant ?
Seymour détacha son regard de son fils, marchant lentement les yeux fermés dans le salon, essayant de comprendre les motivations de Lawrence. Il rentrait chaque soir à des heures indues, se complaisait tant dans tout ce qui touchait l’art…pourquoi aller se salir dans une guerre dont il pouvait rester éloigné ?!

-Pourquoi, Lawrie…pourquoi, murmura-t-il, presque vaincu ?
-Je veux servir mon pays, papa, répondit simplement le jeune homme en haussant les épaules d’un air tranquille. Je serai reporter, je veux aussi témoigner, écrire ce que je pourrais vivre et voir. Je suis engagé comme témoin, papa. Je ne peux avancer si je ne repousse pas mes limites.

Le choc était rude. Au fond de ce cœur de père, il y avait cette fierté de voir son fils prendre de telles décisions. Mais l’avouer était chose moins aisée. Et il y avait son unique fils, à peine sorti de l’adolescence, brillant espoir pour l’amoureux de lettres qu’il était. Gâcherait-il sa vie ? Lui, le romantique, le cœur à accepter tout ce qu’on lui tendait, l’esthète ? La guerre n’était pas pour cette âme d’artiste. Mais il l’avait choisi et face à son fils, Lawrence Senior ne pu qu’accepter sa défaite.
Ses mâchoires se relâchèrent et lentement, il posa une main ferme sur l’épaule de son fils.
-Puisque c’est ton choix, dit-il simplement.

Il se détourna, attrapa le verre de whisky des mains de son épouse et l’avala d’un trait sous le regard scandalisé d’Ellinor.

***

-LACHE TOUT JOHN !
-ON PEUT REMONTER !
-L’AILE EST TOUCHEE, LACHE TOUT !

Dans l’avion qui tournoyait au dessus de la forêt française, le pilote secouait avec fébrilité les commandes de l’appareil, le regard convulsé, mais derrière lui, à la seconde place, son passager ne voyait que l’épaisse fumée noire s’échappant de l’aile arrachée.
Les arbres n’étaient plus qu’à quelques mètres, la collision était inévitable mais un instant, Lawrie espéra qu’à cette vitesse l’avion ne soit pas totalement détruit.
Etait-ce donc ainsi qu’il devait mourir ? Ecrasé dans une carlingue d’avion en France ? C’était une belle mort pour un reporter de guerre…peut-être ses journaux seraient-ils retrouvés et connaitraient un succès posthume…cela ne consolerait pas ses parents.
La peur au ventre lui bloquait les membres, et incapable d’effectuer un seul geste, ignorant à présent son pilote qui s’acharnait avec panique sur le guidon, Lawrie ferma les yeux, revoyant sa vie passer devant ses paupières closes.
Il revoyait Virginia, toujours souriante, heureuse comme il se rappelait d’elle ; puis le collège et ses professeurs, l’université…ses sorties, sa première cigarette, Elsa, son premier cigare, sa première fois, son premier livre jalousement caché, ses rêves de futur, ses vers couchés sur son carnet pour Elsa…puis la guerre.

Et l’avion toucha les arbres.



-Amochée, mais pas la peine de couper, ça serait ridicule.
-Mais docteur…
-Le tétanos ? Aucun risque, regardez…
Les voix étaient confuses, mais la douleur lancinante qui tapait contre son crâne empêchait Lawrie d’écouter un peu plus et de savoir où il se trouvait. L’odeur était pestilentielle, le lit sur lequel il était couché n’était pas de tout confort et sa jambe l’élançait sans discontinuer. Il parvint à ouvrir les yeux, distinguant deux blouses blanches penchées vers lui, mais les traits se firent de plus en plus nets plus il recouvrait la vue.
L’une des blouses se retourna vers lui, affichant un large sourire lorsqu’il le vit éveillé.
-Ah bienvenue chez les vivants ! Je suis le docteur Campbell, voici mon assistant le docteur Murray.
Lawrence hocha la tête par pure politesse.
-Vous avez eu tous les saints du ciel et de l’enfer avec vous, pour vous en tirer avec cette simple égratignure, continua Campbell d’un ton guilleret ! Elle vous fera peut-être boiter quelques temps mais je suis sûre qu’après vous pourrez retourner au front si cette foutue guerre ne fini pas !
-Je ne suis que reporter, parvint-il à marmonner d’une voix pâteuse, se demandant ce que devait être la douleur d’une blessure si lui n’avait qu’une égratignure.
-Ah ben vous pourrez retourner photographier les oiseaux, alors ! Estimez-vous heureux que je sois passé, mon vieux, Murray voulait tout enlever…
Lawrence retint un haut le cœur à cette pensée et aperçu alors seulement les traces rougeâtres étalés sur le tablier de Murray.
-C’est la guerre, monsieur l’écrivaillon, faut pas faire dans la dentelle, hein. Les maladies ici ça courre plus vite que les pigeons voyageurs !
-Le pilote, demanda simplement Lawrie dans un effort ?
-Moins de chance que vous, hélas. Je suis désolé. A l’arrière, vous avez absorbé moins de choc que lui…le nez de l’appareil a été broyé.
Il ferma les yeux, essayant de ne pas imaginer l’état du corps de John. Pauvre gars…il l’avait à peine connu, mais il était de ces soldats plein de feu et de fougue, prêt à servir l’Europe contre le joug allemand. Une de ces âmes patriotes qu’il avait tant croisées en si peu de temps.
-Mais reposez-vous, l’écrivaillon…vous êtes entre les mains anglaises, on vous ramènera chez les vos frères tout à l’heure, faut libérez la place dans une heure…

Les deux médecins quittèrent le lit.
Une jambe invalide, un avion détruit, un crâne martelé…tel était le résultat de son équipée française. La seule chose qui le rassura fut le carnet posé au pied du lit, sur sa veste verte roulée en boule. Il avait sauvé le principal, le plus cher à ses yeux. Sitôt sorti, qu’importe son état, il continuerait ce pourquoi il s’était engagé. Il était en France ? Pourquoi repartir en Géorgie lorsqu’on pouvait écrire et décrire ce que l’on avait sous les yeux ? Il se voulait être un témoin de cette guerre, son devoir serait fait jusqu’au bout.

***

-Et vous avez fait l’Angleterre, aussi ?
-Oui, j’y ai rencontré Rudyard Kipling.
-Ooooooh ! Comment est-il, Lawrie ! Dites-moi tout !
La jeune femme coula sur lui un regard de biche, posant sa main sur la sienne alors qu’il relatait ces quelques jours passés en compagnie du célèbre auteur britannique.
-Vous avez tant voyagé, je vous envie ! Emmenez-moi la prochaine fois, s’il vous plaît !
-Il n’y aura pas de prochaine fois, lança-t-il dans un sourire en soufflant la fumée de sa cigarette. Paris me plaît assez pour que j’y reste aussi longtemps qu’il me plaira., mentit-il.
-Et aussi longtemps que je serais là, minauda la jeune fille ?
Lawrie se contenta d’un sourire en guise de réponse, ne préférant détruire les espérances de sa compagne. Elle était de celles qui n’étaient charmées que par l’artiste, celui qui chaque soir s’installait à cette même table pour boire un verre de whisky devant un carnet écorné.
-Qu’écrivez-vous dans ce carnet, demanda-t-elle d’une voix innocente ?
-Rien qui puisse vous intéresser.
-Oh…
-Vous le découvrirez s’il est publié un jour, ajouta-t-il dans un sourire.

L’horloge sonna 21heures et jetant un œil à sa montre à gousset, Lawrie empocha le carnet et reprit sa cane. Il baisa poliment la main de la jeune femme qui rosi à nouveau en battant des cils.
-Veuillez m’excuser pour ce soir, je dois vous quitter.
-Vous ne m’emmenez pas ?
-Là où je vais, il y a des hommes qui vous voleront ce à quoi vos parents tiennent le plus chez vous, mademoiselle. Il y aura trop d’alcool et de tabac, trop d’hommes et trop de femmes.
Elle fronça le nez, essuyant à nouveau une défaite.
-Bonsoir, mademoiselle, la salua-t-il sans relever la grimace.


Le salon de Gertrude Stein était enfumé comme à l’accoutumée et assis dans l’un des fauteuils de la pièce cosy, Lawrence sirotait un whisky écossais en écoutant le babillage d’une de ces jeunes écrivains qui tâchait de supplanter ses collègues masculins. Son verbe était délicat, sa prose fine mais son manque de recul faisait l’unanimité de la pièce.
-A propos, Lawrie, bravo pour votre nouvelle ! Je l’ai vu ce matin chez le libraire de la rue du Bac.
-J’espère que vous l’avez acheté, répliqua Lawrence dans un sourire, je dois encore payer un loyer ce mois-ci ! Il tira sur sa pipe alors que l’assemblée rit de la boutade.
-Deux, Lawrie, vous pourrez faire une avance à votre propriétaire !
-N’écoutez pas cet imbécile, il est incapable de lire la prose des autres lorsqu’il est en plein travail, le coupa son voisin. J’ai lu votre nouvelle et la seule question que j’ai à vous poser est : la prochaine est-elle en cours ?
-Elle l’est, assura Lawrie. Il faut commencer par tremper un doigt avant de se jeter à la mer.
-Votre vision de l’Homme est déroutante, renchérit-on à sa droite.
-Vraiment ? En quoi, demanda Lawrie en se retournant ?
-Vous ne sombrez pas dans le manichéisme contrairement à certains auteurs…mais vous ne l’élevez pas. Vous lui prêtez des sentiments, vous le faites agir selon les sens, le cœur et non la raison.
-Nos actes sont inconsciemment dictés par les sens, ne croyez-vous pas ?
-Pour certains, ils sont étouffés par la raison pure.
-Mais la raison a un lieu d’être ; on ne peut refouler totalement ses sentiments sans raison aucune, ils ressurgissent lorsqu’on le souhaite le moins.
L’interlocuteur lissa sa fine moustache en hochant la tête dans un sourire. Vous semblez connaître l’esprit humain, Seymour, cela me plaît. Est-ce à Yale où l’on vous a appris cela ?
-Mon père est professeur de philosophie, admit humblement Lawrence.
-Eh bien monsieur le philosophe, je gage que vous irez loin, et notre chère Gertrude le dit elle-même !


-Quels sont vos projets futurs, Lawrie, demanda la jeune écrivain peu après, lorsqu’ils furent seuls ?
-Retourner en Amérique, Rosie.
-Oh…mais la France n’est-elle pas plus propice à votre inspiration ?
Lawrence soupira doucement, plongeant son regard clair dans celui de la jeune femme.
-Paris vaut mille Amérique et cent Atlanta…mais le projet que je souhaite mettre en œuvre me demande de rejoindre New-York pour une durée indéterminée.
-Un an ? Deux ans ?
-Peut-être moins, peut-être plus.
Elle s’approcha la mine triste, posant sa tête sur la poitrine du jeune homme.
-Quand partez-vous ?
-A la fin de la semaine…
-Hemingway n’aura le temps de vous faire ses adieux.
-Je sais que vous les lui ferez de ma part, répondit Lawrie amusé.

La jeune femme se détacha, l’œil brillant.
-Vous me manquerez cruellement, Lawrie. Votre pipe, votre prose, votre glose…vous êtes différent de ces autres…vous avez ce flegme anglais qu’ils n’ont pas, ce romantisme française dont ils sont dénué. Continuez votre route, je suis certaine que l’Amérique vous aimera autant que la France vous aime.
-Et autant que je vous ai aimé ces derniers jours, Rosie, assura Lawrence les yeux pétillants de malice.
La jeune femme balaya l’air de sa main, les joues rosies.
-Allez donc, quittez-nous monsieur l’ingrat ! Mais donnez-moi bien vite votre adresse, que je continue à vous écrire ! Vous me parlerez de la prohibition et des bars clandestins que vous fréquenterez surement pour vous approvisionner, le railla-t-elle en s’éloignant !

***

De longues semaines avait passée depuis cette dernière fois qu’il avait vu la jeune et fraîche Rosie. New-York avait un charme si particulier qu’il avait rapidement oublié la jeune femme, mais son carnet écorné était déjà clos, rempli de croquis de la Dame de fer, de ces bars clandestins et de ces danseuses de cabaret qu’il avait croisé dans ses virées nocturnes.
Le noctambule avait repris sa route américaine, tel un retour aux sources. Il avait vécu plusieurs vies et à présent poursuivait la dernière qui lui avait été confiée.

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