Chapitre i

We're all dying from the start. I just got pushed to the head of the line.

« Caterina.

Si tu lis cette lettre, c'est que je suis derrière les barreaux. Plus précisément, mon heure est proche. Je ne sais combien de temps il me reste, pour écrire cette lettre... Peut-être quelques minutes, voire quelques heures, ou même une semaine. Je n'en sais rien. La seule chose que je peux t'affirmer, c'est que je vais mourir ici. Ne t'inquiète pas pour moi, tout se passera bien, comme je te l'ai toujours promis... Mais avant de partir, avant de mourir, tu dois savoir la vérité. Sur tout. Tu es, Caterina, la personne sur Terre en laquelle j'ai le plus confiance. Si seulement j'avais pu, je t'aurais tout dit bien plus tôt, je t'aurais prévenu... Malheureusement, ce n'était pas aussi facile que cela... Et ne m'en veux pas. Comprends que si je ne te l'ai pas dit plus tôt, c'était pour toi. C'était pour te protéger. Vous protéger, toi et ton frère. Je regrette tant Caterina. Si tu savais à quel point je regrette, de ne pas avoir été le père idéal... Si seulement...

Comme je te le disais, je vais te raconter tout, toute la vérité. La stricte vérité. Parfois, elle blesse, et ça fait moins mal de l'ignorer... Mais parfois, un mal pour un bien, pas vrai ? Partons donc du début. Je n'ai jamais été un simple mécanicien, comme je vous l'ai toujours dit. Certes, j'avais mon garage. Certes, j'étais féru de vitesse, d'adrénaline, et d'automobile... Certes, je t'en ai appris beaucoup dessus. Mais je n'ai pas toujours été ce bonhomme, altruiste. J'ai fait, au contraire, beaucoup de monstruosités... Trop de monstruosités. J'ai tué des gens, par exemple. J'ai tué des gens, j'ai été impliqué dans des réseaux de trafiques d'armes, et de substances illégales. Quel était mon boulot, alors ? Pion. Mafieux. Truand. Ce que tu veux, j'étais de la mafia Italienne. Je vous l'ai toujours caché, car ce n'était pas une vie pour vous. C'était bien trop dangereux... La moindre information tombant dans vos oreilles, c'était une raison de plus de vous abattre pour eux.

J'ai donc vécu en Italie, pendant toute mon adolescence, entre deux commerces et deux contrats. J'ai tué pour la première fois à l'âge de vingt ans. Je t'épargne les détails Caterina. Tu n'as pas besoin de savoir. À mes vingt-cinq ans, un coup a mal tourné, on s'était fait piéger par des rivaux. J'ai terminé derrière les barreaux, pour une durée de cinq ans. Cinq longues années... Années vides, où je n'étais plus qu'une ombre. Cinq années à rester sur mes gardes, à penser à toi qui n'avait alors que huit ans, ton frère de six ans, et ta mère. Pendant que j'y pense... Non, ta mère ne fait pas partie de la Mafia, ne t'inquiètes pas... C'est vrai ce que je t'ai dit : on s'est rencontrés dans sa bijouterie. Mes intentions n'étaient, certes pas nobles au début, mais... Bref, je m'égare. Tout ça pour te dire que, ces cinq ans, ça m'a fait mal. Mentalement, physiquement... Cinq ans à me dire que je n'étais qu'une pourriture, une ordure, un truand,... Cinq ans à regretter amèrement de ne pas avoir été à vos côtés. Pour vous expliquer la vie, vous faire découvrir ses bienfaits, ses défauts... Botter le cul de ton premier petit copain.

Trêve de plaisanteries, bien que cela m'amuse bien plus que de te raconter qui je suis réellement... Je suis donc sorti au bout de ces cinq longues années, sans même prendre la peine de donner de nouvelles à mon... « Patron ». Je ne voulais plus marcher avec eux, c'était hors de question. Je ne voulais plus vivre en Italie, je voulais vivre avec vous trois, en France. Je voulais ouvrir mon garage, je voulais vivre paisiblement, avec ma femme, ma fille qui avait maintenant teize ans, mon fils qui en avait onze ... Je ne voulais plus leur appartenir. Je ne voulais plus en entendre parler. Je ne voulais plus avoir à prendre des vies pour le compte d'un autre. Je voulais être libre, et ne plus obéir à cet homme. C'est pourquoi je suis rentré en France, chez nous. C'est aussi pourquoi j'ai prétendu que tout était réglé, que j'ai menti à ta mère en lui disant que plus jamais, le mot Mafia ne viendrait faire interférences dans notre vie.

Qu'est-ce que j'ai pu être naïf alors... Croire qu'ils allaient lâcher l'affaire. Enfin, non, je savais qu'ils ne lâcheraient pas l'affaire. Je ne voulais juste pas me l'avouer, car ça faisait trop peur. Glorieux, pas vrai ? J'ai donc attendu. Attendu ce jour où les autorités m'ont embarqué, t'arrachant à mes bras pour me faire disparaître. Je savais aussi que c'était la dernière fois que je vous voyais. Comment pouvais-je en être si sûr ? L'instinct. L'instinct de survie qui se met au rouge. L'intuition naturelle d'un ancien mafieux. Bref. Tu as maintenant dix-huit ans, mon ange. Dix-huit ans, tu t'imagines ? Je sais que tu peux accomplir de grandes choses... Malgré tout ce que je suis, malgré le souvenir que je te laisse ainsi... Sache que tout ce que je t'ai appris, que ce soit sur une automobile, ou sur les armes... Que ce soit un entraînement mental ou physique... Rien n'était dû au hasard... Tu n'as pas souvent posé de question, car tu aimais ça... Mais maintenant, je regrette de ne pas t'avoir expliqué pourquoi j'ai fait tout ça. Si je l'ai fait, c'est car aujourd'hui, c'est à ton tour de vous protéger, toi et ton frère. Tu sais te battre, tu es devenue - et à contre coeur - ce que j'étais à ton âge. Je ne te souhaite pas de tuer, loin de là. Je te souhaite de vivre ta vie comme tu l'entends. De voyager, comme tu en as toujours rêvé, de vivre, libre ! Je te souhaite tellement de bonnes choses, à toi... Ma tendre fille que je n'ai, pas vraiment eu le temps de connaître.. J'aurais tellement aimé faire un meilleur père... J'ai confiance en toi, Caterina. Tu es si forte, si courageuse... Ne fais confiance à personne, ne laisse jamais personne t'écraser. Soit ce que je t'ai appris à être : une femme forte. Montre au monde qui tu es. Mais par pitié, ne m'en veux pas... Fait moi cette dernière faveur, ne me déteste pas. Je ne te demande pas de trouver des raisons pour lesquelles je pourrais être regretté. Juste... Garde moi quelque part, dans ton esprit.

Inutile de répondre à cette lettre, je serai certainement mort cette nuit. Je vous embrasse, je vous aime, toi, ton frère et ta mère.

Antares. »

crédit © arwene

Chapitre ii

i don't understand. innocent people get hurt, and, and other people. people who are not good get to walk around doing anything they want. that's not fair.
life's not fair.

Deux ans. Deux ans que je suis un monstre, une crevure. Qu'elle est mignonne, avec ses cheveux blonds. Qu'elle est féminine, perchée sur ses talons. Qu'elle est belle. Belle à en crever. Deux ans que j'exerçais ce métier, enfin, si on pouvait appeler cela comme ça. Deux ans que j'arrachais des vies, parce qu'on me le demandait, parce qu'on me payait pour le faire. Deux longues années que mon père était mort, et que je le vengeais à travers mes contrats, en espérant de tout coeur tomber sur la pourriture qui l'avait tué derrière les barreaux. Je ne valais certes pas mieux qu'eux, au stade où j'en étais. Mais qui pouvait m'en vouloir ? Une mère un peu trop classe. Un père un peu trop naïf. Une enfance presque volée. J'aurais pu tourner autrement. J'aurais pu choisir de suivre ma mère et mes rêves de gamine. La gloire m'aurait peut-être sourit, qui sait ? Mais non. Têtue et rebelle, sale gamine un peu trop téméraire, j'avais suivi les traces du paternel. Honte de la famille depuis le jour où je m'étais officiellement proclamée chasseuse de primes, j'avais fuit aux États-Unis. À part quelques hommes un peu trop machos, un plus de concurrence dans le milieu de la course, qu'est-ce que je pouvais bien risquer ? Rien ne pouvait être pire que fichu manoir où je pourrissais un peu plus chaque jour, avec les deux générations précédentes sur les talons. Chasse à cour, bal d'hiver. Qu'ils prennent la poussière avec leurs trophées de chasse, moi, ce n'était pas mon ambition.

Aujourd'hui, sur ce quai de gare, j'attends. Qui ? Quoi ? Mon frère. Mon cher et tendre frère. Il était parti en guerre en 1917. Un an que je ne l'avais pas vu. Autant dire qu'il m'avait fallu insister, pour qu'il revienne. Après tout, il n'était ni plus ni moins la seule famille qu'il me restait. Sous la nouvelle identité que je lui avais dénichée, il était connu comme Hannibal Louis Preston. Le sourire remonté jusqu'aux oreilles, je patiente les bras croisés. Le train finit par rentrer en gare, enfin ! Bien que, sous ces airs d'impatiente, je pense sincèrement que mon frère vaut tout le retard du monde. Le quai devient vite noir de monde, et il est dur de s'y retrouver. Je me dresse sur la pointe des pieds, constatant que les talons ne sont pas de grande aide pour le coup, et le cherche du regard. Comment le reconnaître, lui, parmi tant d'autres ? Une centaine d'hommes, tous vêtus d'un même uniforme. Les femmes capturent les lèvres de leur époux, les enfants sautent dans les bras de leur père. Et moi, j'attends. J'attends de le voir. Voir ce qu'est devenu le gamin que j'avais abandonné, il y avait de cela un an, sur le quai de cette même gare, sur cette même voie.

Enfin, j'aperçois une tête familière. Il marche en compagnie de quelques amis qu'il a dû se faire sur le front. Heureuse, j'agite une main en l'air, espérant de tout coeur qu'il me reconnaisse. Oui, il m'a vu. Je souris toujours un peu plus, les yeux humides. Je suis tellement contente, de le retrouver. En le laissant partir, j'ai eu peur. Peur de perdre la seule famille qu'il me restait. Mais c'était là sa décision, et je ne pouvais aller contre... Plantée sur place, dansant d'un pied sur l'autre, j'attends qu'il vienne, qu'il approche. Ce qu'il fait, souriant franchement. Je suis si fière de lui. Si heureuse de le retrouver. Soudain, un coup de feu se fait entendre. Les gens sursautent, et s'abaissent, par réflexe, puis se redressent, ne voyant aucune menace. Certains quittent rapidement la place, d'autres restent là, souriant. Pour ma part, je perds tout sourire. Je perds même l'envie de respirer et de tenir debout. Les yeux largement écarquillés, je me précipite vers mon frère, qui s'écroule à terre. Les gens font de la place, bien que formant lentement un cercle autour de son corps inerte. Je me laisse tomber à genoux contre lui, et dans la panique, appuie sur la plaie. Pourquoi. Pourquoi. Par pitié, expliquez-moi pourquoi. Je tremble, de peur, de rage, de haine. Je sais que cette attaque n'était pas anodine. Pas du tout. J'appelle à l'aide, je hurle, mais j'ai l'impression que personne ne m'entend. Ils sont tous à regarder ce jeune soldat, périssant dans une marre de sang. J'enlève mon gilet, m'en sers comme compresse, mais je sais que ça ne sert à rien. Il va mourir. Il doit mourir. C'est ainsi. Je ne peux éviter l'inévitable. La haine me prend aux tripes, je serre les dents, et sanglote. Son corps chaud se refroidit lentement, dans une dernière étreinte que nous partageons. Il ne veut pas mourir. Il n'a de cesse de le répéter : il ne veut pas mourir. Je ne peux rien faire, et ça me déchire. Cette impuissance dont je fais preuve. Il sanglote un peu, recouvre cette teinte pâle si caractéristique de la mort, et me quitte définitivement. Les mains couvertes de ce sang qui n'est pas le mien, je regarde tout autour. Où es-tu, ordure. Où es-tu que je t'égorge.

Une balle, une seule. En plein coeur. Signature si simple à déchiffrer. Ils nous ont retrouvé. Ils m'ont retrouvé. Maintenant qu'ils ont tué le fils, ils vont tuer la fille. Pourquoi ? Pour payer les conneries de papa.

crédit © arwene

Chapitre iii

peuteuteu

Je descends de la voiture sous les applaudissements, un large sourire se dessinant sur mes lèvres. Faux sourire. Retirant ce blouson de cuir, et tout l'attirail qui me sert de protection lors des courses, je confie la voiture aux techniciens de mon patron. Pour ma part, je vais m'installer au comptoir du bar. Un bar en plein air. L'été est parfait. Ce pique-nique organisé autour d'une course aussi, d'ailleurs. Me faufilant entre les ladys et autres dames de hauts rangs, zigzaguant entre les tables, je parviens à me trouver une place au comptoir. « Madame désire ? » « Ce que vous avez de plus fort. » Je suis contente, contente d'être arrivée seconde. Je me désespère. Après tout, une femme, dans un tel milieu... C'est souvent mal vu, par ces-messieurs. Malheureusement pour eux, mademoiselle est née avec une paire entre les cuisses, et n'hésite pas à les rembarrer. Quelle élégance, dirait ma mère. Je n'ai pas envie de faire dans le raffinement à la Française. Je n'ai pas envie d'être ce qu'ils veulent de moi. Je veux être ce que moi, je désire être. Le barman me sert, j'entame ma consommation. C'est fort et ça me brûle la gorge, mais ça m'aidera à digérer la défaite.

« C'était une belle course, mademoiselle. » « Je vous en prie, c'était minable, arrêter de jouer les hypocrites et trouver vous une autre « mademoiselle » à flatter. » Je ne daigne même pas le regarder, pourtant, sa voix est suave, son ton est doux et agréable. « Vous supportez mal la défaite, à ce que je vois. » « Parce que c'est une défaite, d'arriver seconde ? » « Non, ce n'est pas ce que je voulais dire, enfin... » « Laissez tomber, je ne suis pas d'agréable compagnie, après une ''défaite'' ». En effet. Je ne supporte pas l'échec. J'en deviens d'ailleurs très désagréable, et ce pauvre homme en fait l'expérience. Enfin, il est prévenu. « Vous consoler à la bouteille n'est pas une solution, pourtant. » « Merci papa ». Suis-je en train de répondre, avec un sourire sarcastique. Pauvre garçon, il prend vraiment la dose, pour le coup. Enfin, je n'ai aucunement envie de me montrer tendre. « Pourtant, vous savez que c'est un milieu d'hommes. » « Il n'y est pas de milieu exclusivement masculin si ce n'est la connerie humaine, si vous voulez mon avis. » « Oui, venant d'une féministe telle que vous, j'aurais dû me douter d'une telle réponse... » Mon sourire s'étire un peu plus en coin, et j'espère de tout coeur que, ce que je viens de lui balancer à la figure va le faire déguerpir. Sa compagnie n'est pas pénible, en soi. Mais j'ai besoin d'être seule, avec mon alcool, pour faire le point sur ce qui n'allait pas, pendant cette course. « Alors, s'il n'y a que la bouteille pour vous consoler, je vous laisse l'adresse d'un bar sympa... » Il me tend une carte que je récupère, je me tourne vers lui, et le regarde. « Ecoutez mon petit, il y a beaucoup d'agneaux dans la bergerie, alors pourquoi tenter de séduire le loup ? Hein ? » « Le goût du risque, Mademoiselle. Le goût du risque. » Et sur ce, il part, il s'enfuit, sans que je ne puisse glisser un mot.

Quelques mois après cette rencontre, j'étais devant un bar. Le « Runaway Boys ». Haussant un sourcil, je détaillais l'entrée, lorsque cette même voix suave m'interpella. « Alors Mademoiselle, on s'est décidée à venir ? ».

crédit © arwene